Edward Hopper, le dissident
vent, le coup de vent, signifie le désir, la vigueur, le halètement.)
Lui, le nez dans la literie, ne voit rien. Elle, assise, ne regarde rien. Il fait chaud. Ils sont indifférents à la gloire du soleil qui entoure leur lassitude, ou le fiasco. Indifférents à la glorieuse lumière de l’été, sur la ville, dans la chambre, fenêtre ouverte – What a glorious day ! Le lit n’est qu’une couchette, étroite, aux pieds
de fer, semble-t-il. On dirait qu’ils habitent une maison inhabitée. Un lieu de passage, provisoire. Par l’une des fenêtres, près de la tête du lit : la ville, des immeubles verticaux, roses ; par une autre fenêtre, dans la pièce voisine, qu’on imagine vide, le même ciel bleu, et, au loin, d’autres immeubles, roses, avec un pan de soleil.
Les pieds de la femme empiètent sur l’un des deux rectangles de soleil qui tiennent lieu de descente de lit.
La plus grande beauté de cette peinture est dans le jeu du soleil sur le mur parallèle au lit, à la blancheur des draps. Le bâti des fenêtres et des vitres agence et compose sur les surfaces de la pièce des rectangles, des triangles, tronqués : par le bord de la toile ou du lit, l’angle et l’arête d’une ouverture. Et la subtilité des couleurs, des gris colorés, naît de la générosité et du caprice ordonné de la lumière. Mais ces surfaces, ce jeu de prisme, donne lieu à des volumes ; on dirait que le mur le long du lit est un espace convexe ; et que la surface plane, comme marquée d’un pli, d’une ligne, forme un angle.
Au loin, au-dehors, l’espace du dehors, le ciel, la ville, ses volumes, ces hauts immeubles dont chacun contient des chambres, des bureaux, où des hommes et des femmes vivent, sans avoir conscience de vivre, sans porter attention à la splendeur du monde.
Ces mêmes années, en 1951, Hopper peint Rooms by the Sea (« Chambres au bord de la mer »). Le jeu de la lumière et des surfaces, des volumes, son écho d’une pièce à la pièce voisine, se fait plus subtil encore, plus « abstrait ». On y est d’autant plus sensible que cette fois, dans ces chambres, il n’y a personne. Seule la lumière, seul le soleil. Pourtant, par la fenêtre oblique, par la fenêtre ouverte, ou, plutôt, la porte, nous
voyons la mer, bleue, avec un peu de vagues, et le ciel bleu, d’un bleu plus clair que la mer, mais aucune voile sur la mer ; et le ciel, encadré par le gris de l’embrasure, est un pur rectangle bleu : pour lui, avec lui, l’obliquité cesse, il n’y a plus que le face à face avec l’infini ; avec cet espace qui est à la fois surface et profondeur. Un face à face analogue à celui du peintre devant la toile blanche, vierge.
On dirait que la mer est au seuil de la porte.
Le peintre, par sa peinture, son regard, se tient dans cette chambre ouverte sur le ciel et la mer, et il en est absent.
Nous avons le sentiment que la mer, délimitée par l’ouverture, encadrée, s’étend, libre, hors de notre vue. Ce n’est pas la répétition et le prolongement d’éléments répétés, presque identiques, qui cette fois suggèrent la présence d’une étendue, mais une partie de quelque chose d’identique à soi-même. Est-ce par l’analogie de l’horizon, est-ce par l’intensité du bleu qu’est suggérée cette largeur de mer, cette largesse ?
En 1963, Sun in an Empty Room (« Soleil dans une pièce vide ») ; une grande toile ; dont le titre, fascinant, est moins descriptif de cette peinture qu’emblématique de ce à quoi tendait l’œuvre de Hopper. La pièce ne s’ouvre pas sur une porte, mais sur une fenêtre par laquelle s’aperçoit de la verdure, un arbre, un étroit coin de ciel. Elle est vide, en effet. Toute la place est donnée au soleil et à son jeu sur les murs, le sol. Aucun meuble, même en retrait dans une pièce contiguë, aucun tableau, aucune gravure dans un cadre, qui dirait la présence et l’absence de celui qui habite la maison. Le seul sujet est le soleil et la lumière. « I guess I am not very human », a dit Hopper à quelqu’un qui l’interrogeait sur son
œuvre ; « I didn’t just want to paint people posturing and grimacing ; what I wanted to do, was only to paint sunlight on the side of a house » (« Je ne suis sans doute pas très humain ; je n’ai eu aucun désir de peindre l’attitude et la grimace des gens ; ce que j’ai voulu faire, ce n’est rien d’autre que de peindre la lumière du soleil
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