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Edward Hopper, le dissident

Edward Hopper, le dissident

Titel: Edward Hopper, le dissident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Rocquet
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célébrer ; je ne veux pas écrire « la prendre au piège » ; tant il m’apparaît que cette saisie de la lumière, cette captation ou cette capture, est de l’ordre du sacré ; analogue, non à la prédation, mais à l’offrande. La lumière est un don du ciel. Le peintre lui voue sa vie.
    Comment, en peinture, représenter et figurer la lumière, le soleil, sinon par la disposition de quelques objets, heureux obstacles ?
    Avec le temps, dans l’œuvre de Hopper, disparaîtra l’anecdote, le détail, la circonstance. Ne restera que l’essentiel : ce qui permet que la lumière soit une présence, qu’elle soit visible. L’épiphanie de la lumière. D’où : le vide. Mais ce n’est pas le vide qui attire et fascine Hopper : c’est la lumière. Le vide, le lieu vide, est la conséquence de cet accueil donné au soleil, à la lumière. Le vide des ultimes peintures de Hopper n’est pas de l’ordre de la négation, du rien ; il est plénitude. Il est sanctuaire. Il est espace consacré à la lumière. Quelle lumière ? La lumière de ce monde ? La lumière inséparable du peintre et de la peinture ? Ou la lumière intérieure, dont la lumière physique, sensible, toujours, semble une sorte de miroir ?
    Un essai sur Hopper pourrait avoir ce titre : Un prisme de silence .
    Le cristal est corps et transparence.

    Regarder la peinture est regarder comme on écoute. Qu’entendre, quand on écoute la peinture ? Au-delà de tout récit, de toute fable : ce qui en elle est analogue à la musique. Mais la peinture est silence. La regarder, la contempler est entendre son silence, le silence.

15
Dernières années, dernières peintures
    Les dernières peintures de Hopper sont aussi éloignées de Nighthawks (« Le Bar de nuit »), par exemple, ou de Gas (« La Station-service »), que celles-ci des peintures américaines ou parisiennes de ses débuts. Toujours, dans sa peinture, il y eut la présence de la lumière. Non la lumière et les effets de la lumière des impressionnistes, de Turner, sinon parfois, comme dans East River , entre 1920 et 1923 : des bâtiments alignés le long de la rive, une rue qui s’ouvre de biais de l’autre côté du fleuve, l’or du ciel qui se reflète et se fond dans l’or et les remous, la houle, de l’eau ; mais le jeu du soleil dans une pièce, sur les murs d’une pièce, le sol, une façade. Des plages de lumière jouant avec les surfaces d’un sol, d’un mur, d’un plafond, d’un meuble, d’un escalier, de même que l’ombre est inséparable des corps. Et comme si la lumière, chez Hopper, tenait ce rôle d’accompagnement qu’est une ombre, l’ombre de toute chose. Un contre-chant. La nouveauté, dans les dernières toiles, est que la lumière du soleil prend la première place dans sa peinture, y tient le premier rôle. Elle se manifeste. La confidente devient protagoniste. La lumière semble devenir le sujet même de la peinture.

    Mais ce Hopper, qui n’est plus celui des « scènes », banales et énigmatiques, nous apparaît très tôt dans son œuvre ; rétrospectivement. Ainsi, en 1950, dans Summer in the City (« L’Été en ville »). Certes, il s’agit d’un couple, elle assise en combinaison rose sur le lit, bras croisés, lui, derrière elle, presque nu, en caleçon (on en voit le bord), étendu sur le ventre, comme s’il étreignait le traversin, le visage enfoncé entre les seins que forme cette espèce d’oreiller. Il fait grand jour et c’est un jour d’été. Cette peinture pourrait être le pendant, l’inverse, la réplique d’ Excursion into Philosophy . Une scène, donc. Est-ce un couple après l’amour ? Elle, insatisfaite, lui, fatigué, et qui s’absente ; comme jadis seul dans son lit d’adolescent? Edward et Joséphine, avant de lui donner un titre plus convenable, et plus propice à la vente, intitulaient entre eux ce tableau : Triste Après l’Amour . Mais, plutôt, pour qui ignore ce « vrai sujet » selon le peintre : rien ne s’est passé. Il est en panne. (« En panne » : ce mot n’évoque pas tant l’automobile, l’essence, la halte fâcheuse sur la route, que, terme de marine, le vent qui dans les voiles ne souffle plus : parce qu’on a orienté les vergues de façon que le navire s’arrête, ou réduit la voilure ; ce qui nous fait songer que le vent qui, chez Hopper, gonfle si souvent les rideaux d’une fenêtre ouverte, est le contraire d’une « panne » : le

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