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Edward Hopper, le dissident

Edward Hopper, le dissident

Titel: Edward Hopper, le dissident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Rocquet
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complète les plats exposés, une opulente corbeille de fruits, une rangée de fruits jaunes, ronds, entre deux ardoises, encadrées, où le passant peut lire le menu ; et deux plantes vertes, comme en écho à la verdure d’un ananas dans le panier aux fruits, encadrent l’exposition. Nous ne sommes pas face au restaurant, au spectacle du restaurant, au tableau que l’ensemble forme : tout est construit sur une oblique ; grâce à quoi, peinture, chose représentée, tout s’anime. Je vois un autre souvenir de Manet dans une peinture composée de manière analogue. Par la fenêtre de ce qui pourrait être une chambre d’hôtel, on aperçoit une employée au travail. Penchée, elle aussi. Son attitude met en évidence, avec le nœud de la ceinture,
son tablier de domestique ( Apartment Houses , « Maisons de rapport », 1923).
    Vermeer vu à Paris, et à La Haye, sans doute, est un maître profond de Hopper, un autre modèle. Briques, maisons, façades, ruelle. Une ville, vue de l’autre côté du fleuve, de l’estuaire. La ville, qui est un paysage. L’intérieur de la maison. Peut-être Hopper se souviendra-t-il de ce que peut dire le silence d’une lettre, ouverte, ou qu’on est sur le point d’ouvrir, que l’on commence à lire, qu’on relit, dans la solitude. Le silence du papier, la voix que la lectrice entend. La lettre : entre absence et présence. Mais l’essentiel de ce qu’il reçoit de Vermeer est une leçon de lumière. Comme si tout le dispositif mis en place par le peintre, et par le jeu de sa peinture, avait pour fin d’être un appareil, un prisme destiné à mettre en scène la lumière, la pure lumière ; comme fait le cristal, le joyau. Mais il est au moins deux espèces de lumière : naturelle, surnaturelle. Vermeer n’est pas un peintre religieux, mais spirituel. Sa peinture est de l’ordre du sacré, mais d’un sacré voilé sous le profane, l’ordinaire, le quotidien. Sa matière précieuse est comme illuminée du dedans.
    Hopper ne sera pas le peintre de cette matière spiritualisée. Et si pour lui comme pour Vermeer la lumière compte au plus haut point, leur lumière n’est pas la même. La différence entre eux n’est pas seulement d’époque, d’objets, de sujets – le lait qu’une servante verse en inclinant une cruche, la triple et rouge pompe à essence de la station-service –, mais dans l’écart entre un monde où rayonne la grâce et un monde que nous dirons désenchanté, ingrat ; dans lequel, pourtant, la peinture, la grâce de la peinture, a pour tâche, presque désespérée, d’apporter cette
lumière sans quoi l’homme est sans âme. Sauver le monde disgracié, le sauver par la peinture, n’est-ce pas le devoir qui fut celui de Hopper, qu’il se donna, et que, peut-être, il reconnut confusément devant Vermeer ? Que savons-nous de ce qui s’accomplit dans l’esprit d’un peintre lorsqu’il contemple une œuvre de génie, une œuvre fraternelle, et n’en dit rien, sinon, parfois bien des années plus tard, par sa propre peinture ?
    Il est ébloui et comme foudroyé par La Ronde de nuit . C’est qu’à l’évidence nous sommes devant une œuvre de génie. C’est sans doute aussi que cette scène, monumentale, n’est pas moins une énigme qu’un spectacle, une espèce de défilé, ou de parade. Même si le bruit d’un tambour ne couvrait pas les paroles, avec, peut-être, la décharge d’un mousquet, ceux qui se tiennent près des deux personnages au centre et au premier rang du cortège n’entendent pas ce que se disent les notables. Nous ne voyons qu’un geste de la main entre eux. Parlent-ils affaire, se concerteraient-ils sur le chemin à suivre ? Mais où vont-ils, quel est le sens et le but de cette sortie, sous de grands chapeaux? Cette peinture, dit-il, est « la chose la plus merveilleuse que j’aie vue de lui » (« the most wonderful thing of his I have seen, it’s past belief in its reality – it almost amounts to deception ») . Il écrit cela à sa mère, de Berlin, où il peut voir beaucoup d’autres Rembrandt.
    Il n’est pas seul devant la peinture hollandaise. Il a rejoint Robert Henri qui, en 1907, conduit un groupe de ses élèves à Amsterdam et Haarlem. Parmi ses élèves, Joséphine Versille Nivison, qui deviendra Joséphine Hopper, en 1924.

    C’est pour Frans Hals qu’il va à Haarlem. Si le musée où ses toiles sont alors exposées est tel que je le connais, ce n’est pas dans les

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