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Edward Hopper, le dissident

Edward Hopper, le dissident

Titel: Edward Hopper, le dissident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Rocquet
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dépouille. Son moulage. Peut-être, étudiant, Hopper eut-il à peindre, à titre
d’exercice, le manteau, la veste, du modèle, d’un collègue, ou son propre vêtement : rendu de plis et d’ombre, de texture ; couleurs, nuances ; art de traduire, par l’usure, l’âge de l’habit ; et la condition de celui qui le porte. Réalisme. Cet exercice, on peut le faire chez soi, dans sa chambre. Comme on ferait son portrait, un autoportrait. On se regarderait comme du dehors, absent. Tel que les autres vous voient, de dos, par exemple. Un vêtement, son odeur, ses odeurs, son contact, l’extérieur et la doublure, en dit long sur celui qui s’y est tellement habitué qu’il n’y pense plus. Il l’enfile, il s’en enveloppe. Il n’en est pas tout à fait de même pour un chapeau. Hopper a fait son portrait avec chapeau et il a fait le portrait de son chapeau : un dessin au crayon. Le chapeau représente l’homme qui l’a choisi, et le porte ; plus que le paletot, par exemple. Il fait presque partie de son corps. On ne l’imagine pas tout à fait traité comme une nature morte. C’est une espèce de présence, et un signe ; le moyen, aussi, de faire signe : un signe de politesse, par exemple, un adieu. Les hommes, vraiment virils, dans les films policiers, gardent leur chapeau sur la tête, même au comptoir.
    Dans une autre peinture, Automat , la jeune femme au chapeau rose est seule, et semble triste. Il y a devant elle, sur la table ronde, une tasse, et, contre la table, une chaise vide, inoccupée, rangée : personne qui soit venu s’asseoir, et soit reparti, ne fût-ce que pour s’absenter un instant. Joli visage, courbe gracieuse du chapeau cloche, fourrure aux manches et au col, jambes nues, agréables, claires, qu’on aperçoit sous la table. Fourrure. Le visage, les jambes.
    Derrière elle, dans la vitre noire, comme une double rangée de hublots presque parallèles, des
lumières : non celles de la ville, de la rue, mais, reflétées, celles des globes du café, sans doute ; à moins que ce double reflet ne soit que le reflet d’un reflet ; ou même que, de l’une des rangées de lumières, reflétée, naisse celle qui la double. Les glaces, les miroirs, dans un café, un restaurant, multiplient l’espace, l’élargissent, l’enrichissent à peu de frais ; l’établissement n’a jamais l’air d’être vide, un peu vide ; et les clients peuvent regarder indiscrètement leurs voisins et, rêveusement, se contempler eux-mêmes, de face, de profil, de dos ; comme dans les cabines d’essayage ; eux aussi sont multipliés. Il arrive, quand la nuit vient, quand elle tend la baie vitrée de ses tentures noires, de son velours pluvieux, que l’intérieur du restaurant colonise illusoirement les rues désertes. La nuit venue, la vitre est un autre miroir.
    Ce tableau est-il un portrait, une scène de genre, a-t-il pour sujet le jeu des miroirs, l’irréalité de tout, l’irréalité de soi, l’image d’un Narcisse sous un chapeau cloche, un chapeau rose ? Si les contours du personnage et des choses étaient un peu flous, un peu tremblés, on pourrait croire que ce tableau est un portrait devant un miroir. La jeune femme se regarderait esseulée, jolie pourtant, sans un homme dans sa vie, jouant le rôle de celle qui attend quelqu’un, ou d’une jeune femme esseulée à qui on a posé un lapin. Elle regarderait pensivement, un peu coquette, dans un grand miroir que nous ne voyons pas, devant elle, ce Portrait dans un miroir d’une jeune femme seule et mystérieuse .
    Est-on plus seul ou moins seul quand on regarde sa solitude dans un miroir ? Se regarder ainsi se regarder dans un miroir, jusqu’au vertige, est un amer et doux
plaisir d’enfance. Si, sur le guéridon, était posée une théière carrée, chinoise, cubique, avec son bec viril, comme dans cette autre peinture de Hopper, Chop Suey , le tableau pourrait s’intituler : « La théière carrée, ou Shangaï à New York. » La jeune fille rêverait autrement. Rêverait-elle d’aller là-bas, de palace en palace, dans un paquebot comme ceux qui, sur les grandes affiches des agences de voyages, font rêver ? Une tasse de thé est l’ Orient-Express .
    À côté de la jeune femme, derrière elle, sur le rebord d’une fenêtre, une coupe emplie d’une pyramide de choses roses, des gâteaux peut-être, des confiseries, on dirait des pétales, on dirait un bouquet de roses, de pétales de roses, le rose, sa

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