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Edward Hopper, le dissident

Edward Hopper, le dissident

Titel: Edward Hopper, le dissident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Rocquet
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couleur préférée. Un bouquet de roses dans un vase : mais ce sont des fruits, rouges ; des pommes, plutôt que des oranges ; deux bananes indiquent qu’il s’agit d’un bouquet de fruits, d’une « pièce montée », d’un petit temple de la gourmandise. Cette coupe, qui paraît d’abord un vase, est aussi un décor, la décoration du restaurant, un étalage intérieur. Plaisir des yeux prometteur d’un plaisir de bouche. Ce n’est pas aujourd’hui qu’un amoureux lui enverra un bouquet avec sur une carte en relief un poème comme ceux qu’on lit sur les cartes d’anniversaire: I dream of you, my darling, I love you, for ever and never… Elle est seule comme une héroïne de roman à quatre sous et on ne sait même pas si elle attend quelqu’un, qui viendra, qui ne viendra pas, ou si elle fait semblant d’attendre, ayant bu le thé jusqu’à la dernière goutte, le thé qui n’était même plus tiède ; le thé, ou le café, ou autre chose. Dehors, quand elle sortira, avec l’air de celle qui n’est venue attendre personne, il pleuvra, et elle se dira qu’elle aurait mieux fait de prendre son parapluie, un parapluie rouge
coquelicot dont la couleur brave le gris de la pluie et du soir qui tombe.
    On aimerait que revienne la mode de ces chapeaux cloche, de ces doux casques de feutre sur la tête et les cheveux courts des jeunes femmes, des jeunes filles. Et même, peut-être, leurs lèvres rouges dans la pâleur poudrée du visage, leurs bas crissants couleur chair ; de ces bas qui « filent » et, pour ne pas avoir honte de cette « flèche », il faut en changer d’urgence, aux toilettes, si l’on a eu la bonne idée d’emporter une paire neuve dans son sac. Mais pourquoi ce titre, Automat , donné au tableau, au portrait ? Le restaurant n’a rien qui évoque un self-service, un snack-bar, un fast-food, un distributeur mécanique de boissons ou de gâteaux sous cellophane, secs, ou avec au milieu la perle rouge d’un fruit confit, insérés dans un sachet transparent qu’on s’énerve à ouvrir, à fendre. Il faut croire que l’ automate désigne cette jeune femme qui, trop maquillée, a l’air d’une poupée ; cette jeune femme, tellement semblable, dans sa solitude, son élégance commune, à des milliers d’autres ; et sa vie automatique. On la croit vivante, elle se croit vivante. Elle ne l’est guère plus que ces mannequins dans les vitrines. Si elle parle, c’est comme le courrier des lectrices.
    Sa main droite tenait la tasse. Sa main gauche était gantée. On la voyait gantée sur le marbre de la table. Faisait-il froid dans le café-restaurant ? Elle avait gardé son manteau. Pourtant elle s’était placée près d’un radiateur, pas très joli, mais sans doute efficace. Quelques-uns ont remarqué ce gant unique dont la couleur se confond avec la fourrure de la manche. Ils se sont demandé si elle avait serré dans son sac (où est-il?) l’autre gant pour être sûre de ne pas l’oublier, le perdre. Mais si le gant visible, à peine visible, cachait
une main blessée, disgracieuse, infirme ? Une main dont elle aurait horreur. Une main qui ferait horreur. Qui blesserait le regard d’un homme. Une main dont on ne pourrait désirer la caresse, l’étreinte. Qui révulserait. Là serait le secret de sa solitude. Ce gant serait un masque. La jeune femme ne se serait composé un si joli visage, sous la grâce du chapeau, l’aile de mouette et la cloche du chapeau, elle ne se voudrait ainsi vêtue, attirante, elle ne laisserait voir sous la table ses jambes que pour compenser un terrible défaut. Une disgrâce. Un malheur.
    Elle n’a pas non plus ôté son manteau. Peut-être n’a-t-elle retiré le gant de sa main droite que pour être plus à l’aise pour saisir l’anse de la tasse. Elle n’avait rendez-vous avec personne dans ce café, ni ne faisait mine d’en avoir, elle n’est entrée que pour un instant, le temps d’un café, ce n’était pas la peine de se dévêtir ; mais elle s’est attardée, elle s’attarde ; elle rêve un peu ; elle songe peut-être à certain rendez-vous, certaine rencontre qu’elle eut ici-même ; elle regarde la chaise vide où il était assis, lui souriait, lui parlait. Elle se dit que tout cela appartient au passé, que tout l’amour est mort, sans doute pour longtemps, peut-être pour toujours.
    On peut voir dans cette peinture une célébration du miroir ; et le miroir est l’un des thèmes les plus

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