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Edward Hopper, le dissident

Edward Hopper, le dissident

Titel: Edward Hopper, le dissident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Rocquet
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vieille pharmacie, une pharmacie à l’ancienne, comme celles qui font rêver les enfants quand ils y accompagnent les grandes personnes. Comme l’une des pharmacies d’enfance du petit Hopper. Le pharmacien, cheveu rare, lunettes d’or, blouse blanche, avait toujours une espèce de sourire quand il prononçait le nom de l’enfant, en l’appelant « jeune homme » ; mais il offrait des boules de gomme, vertes, saupoudrées de sucre comme de neige les sapins ; vertes comme le bocal de verre dans la vitrine, et comme le sirop, si suave, si doux, qu’on en venait à être impatient de tousser, à nouveau, l’hiver, quand la neige enveloppe d’une même blancheur la rue, la nuit, et la vitrine. Les tisanes, toutes sèches dans leur sachet, fragiles, presque en poussière, feuilles et fleurs pâles, Edward les aimait moins, mais elles sentaient bon. Il en respirait l’odeur tout en regardant les
colonnes de tiroirs de bois sombre, qu’on tire l’un après l’autre par un bouton de cuivre et qui évoquent les cabines d’un navire. Une balance dans un recoin de la pharmacie lui disait son poids. Une toise, à côté d’elle, disait qu’il grandissait, un peu trop vite. Il était grand, pour son âge. On aurait dit qu’il sautait des mois et des années, pour être plus vite une grande personne. Et que fera-t-il plus tard, ce jeune homme ? Il ne répondait pas. Il faisait celui qui est timide, ou ne sait pas encore. Mais, en tout cas, il ne sera pas marchand de purge.
     
    Ironie, sans doute, ce qui, près d’une église, pourrait être une haute croix, et n’est qu’un poteau télégraphique, téléphonique, avec, comme des oiseaux perchés sur un arbre, des boules de verre, semble-t-il, sur la partie horizontale. Le tableau, peint en 1950, c’est-à-dire au milieu du siècle, s’intitule Orleans , portrait (« Portrait d’Orléans »). Orléans, que délivra Jeanne, Jeanne d’Arc… Le poteau, qui sert aussi à porter une espèce d’abat-jour urbain, pour l’éclairage public, est ici placé exactement dans l’axe de l’église, reconnaissable à son clocheton cubique. Le totem chrétien a remplacé le totem indien, et le voici supplanté par le totem industriel, électrique. Quelle Jeanne pourrait nous délivrer de ce bric-à-brac moderne ? Le poteau nu, comme celui du calvaire et du bûcher de Rouen, n’est pas le seul mât dressé dans ce coin, ou plutôt cet arrondi, d’une petite ville. Un sémaphore à trois lumières, trois couleurs, rouge, orange, vert, est planté près d’une station-service : mobilier urbain, tout neuf, fierté de la municipalité, certainement, signe de la prospérité de la ville, mais assez vain, pour une circulation qu’on devine rare (un
autre, plus mince, plus modeste, un feu d’avant le feu tout neuf, se trouve à proximité d’un commerce, bel effet jaune sur la façade presque pourpre). Le feu de signalisation, le feu de carrefour, est moins utile que décoratif : totem, comme sont les pompes rouges, qu’on ne voit pas ici ; mais une haute perche métallique arbore très haut, en grosses lettres rouges, le label d’une marque d’essence : ESSO. Entendez : « Standard Oil ». Celui qui tient la station en est sans doute fier ; fier de cette station dont il est le gérant ; fier de sa combinaison de travail, une salopette, impeccable, labellisée de l’écusson de la Marque. Il repeint la station plus souvent que nécessaire : cette bordure blanche, doublant l’arrondi du terre-plein. Mais c’est aussi qu’il est bon d’attirer le regard de l’automobiliste, pour qu’il ait envie de s’arrêter ici, presque au bord d’un jardin, plutôt qu’à la pompe suivante, sur la route. On lui nettoiera plus soigneusement qu’ailleurs son pare-brise parsemé de moustiques, de maringouins, d’insectes percutés qui ne sont plus que bile et morve. Un pneu noir, qui a quelque chose d’une couronne mortuaire, est posé debout au bas des mâts. C’est une enseigne, au ras du sol, à hauteur de volant. Un petit panneau rouge, une pancarte contre le noir du pneu, porte une inscription qu’on ne déchiffrera que si l’on s’approche et se penche un peu. Mais ce point rouge, ce carré, en bas et à droite de la toile, est comme la signature, « très peintre », « très Corot », du peintre, qui, à l’horizon, a pris plaisir à la couleur de montagnes mauves ; comme jadis. La petite ville est charmante, paisible, comme une maison

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