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Edward Hopper, le dissident

Edward Hopper, le dissident

Titel: Edward Hopper, le dissident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Rocquet
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déserte, théâtre sans personne, et le voici devant un grand musée, toutes portes ouvertes, où les peintures de Hopper témoignent de ce qui fut, si peu. Personnages comme ceux que nous voyons peints sur les murs de tombeaux, ou, plutôt de mausolées, de cénotaphes. Veillant le corps absent. En tenant lieu.

    Si je devais finir ce chapitre sur l’évocation d’un paysage, je choisirais Railroad Sunset (« Coucher de soleil sur une voie ferrée », 1929). C’est une peinture « horizontale », un « paysage », une « marine », de 78,8 cm sur 121,3. Le ciel occupe à peu près les trois quarts de la surface, bleu et blanc dans la hauteur, jaune au-dessous, et – touchant le noir et le gris de la terre, un gris-vert, celui d’une route sinueuse – rouge, un rouge flamboyant. Un rouge si vif, si violent, qu’à première vue le tableau peut évoquer un paysage de Munch, une peinture expressionniste. Presque au bord inférieur du tableau, comme tracé à la règle, le double trait lumineux des rails.
    Tableau fait de bandes.
    Sur la gauche, dans le soir qui tombe, la cabine d’aiguillage ou de surveillance a l’air d’une maison, avec deux courtes cheminées, des vitres qui en font un observatoire et la rendent transparente. C’est comme une autre sorte de phare. On ne voit personne à l’intérieur. La lumière du soleil qui va disparaître éclaire une façade. Les fenêtres sont comme des tableaux où s’encadre du ciel. La route va d’un bord à l’autre du tableau. Immobile, déserte. Pourquoi a-t-on le sentiment qu’elle va vers la gauche ? Vers le passé. Presque au milieu du paysage, ce qui jadis, ailleurs, aurait pu être une croix, un calvaire ; c’est un poteau qui porte un système de signaux. Ces calvaires modernes, ces croix profanes aux carrefours, on les retrouve ici et là dans les paysages citadins, ou sur les routes, de Hopper.
    Quelle beauté, ce ciel, cette lumière, cette agonie du jour, sur ce désert ! Quelle fête, pour aucun regard, sinon celui du peintre, et le nôtre. Quand notre espèce aura disparu, et toute vie sur Terre, tout regard, que
sera la splendeur du monde, la lumière des astres, de la Lune ? Ce qui nous touche, dans cette peinture, et nous retient, silencieux, c’est que ce qui pourrait n’être qu’une voie de chemin de fer, dans un paysage désert, au soir tombant, nous dit sourdement notre mort, et qu’il est bon d’ouvrir les yeux sur ce monde, ce monde sanglant où le soleil saigne alors que la nuit rend tout invisible. Est-ce l’évocation d’un homme dont le regard va s’éteindre ? On dirait une fin du monde. Cette toile fut peinte à New York dans l’année qui suivit la crise de 1929. Il semble que, l’argent faisant défaut aux collectionneurs, elle ne trouva pas d’acheteur : elle fut léguée par Joséphine Hopper au Whitney Museum.

11
Railway, routes, hôtels
    Je rêve à cette terre et à ces peuples que désignent en les effaçant les mots d’ Amérique indienne  : noms nés de l’erreur et de la conquête. Je rêve à ce pays de grandes plaines et de montagnes, d’herbe infinie sous le vent, de bisons, de fleuves et de torrents, de cascades et de chutes, de tentes pointues et rondes, de feux de bois, de flèches, de vêtements de peaux, frangés, de mocassins, de coureurs de piste, de visages peints pour la guerre, de coiffures de plumes, de soleils rouges sur la lune des tambours, de torses nus comme le torse des dieux. Le Nouveau Monde n’était pour ceux qui le peuplaient que le monde, leur monde. Les bateaux vinrent avec armes et bagages, l’alcool et la poudre, la croix et la parole des missionnaires, les prosélytes, le clergyman. Nous avons été les Romains de cette Gaule. Ce continent allait devenir un empire amarré à nos royaumes. La Liberté viendrait après les massacres et les trafics, l’occupation, le parcage des indigènes, l’esclavage, la guerre civile entre le Nord et le Sud.
    Il avait fallu, pour traverser de part en part et d’Est en Ouest ce continent, le conquérir, s’y implanter, s’y installer, y prospérer, le changer en une autre Europe, une nouvelle Europe, toute différente de l’ancienne, ce
vieux monde – pourtant, comme les saloons et les robes des femmes sont Belle Époque ! –, il avait fallu des pistes qui seraient des routes ; et des chevaux, des chariots. Les routes, d’abord, avant les rails, au temps rural, au temps des ranchs et de la lampe à pétrole,

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