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Edward Hopper, le dissident

Edward Hopper, le dissident

Titel: Edward Hopper, le dissident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Rocquet
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silence de la peinture, alors qu’en réalité tout ce drame latent, tout ce temps du voyage, serait imprégné du bruit continuel des roues sur les rails. Ce silence, absent, « sous-entendu  », rend, sans qu’on en prenne conscience, irréelle, onirique, la réalité du lieu et des personnages. Mais y penserait-on si la peinture de l’intérieur d’un train était d’un autre peintre ?
    Hopper a gravé une locomotive, noire, la gravure s’y prêtant, énorme, à l’ouverture du tunnel, noir comme un four. Des ouvriers, au bord des rails, surveillent et guident la manœuvre, l’entrée du monstre dans sa caverne. C’est presque une scène vue en rêve. Comment cette grosse machine va-t-elle pouvoir entrer dans cette bouche noire, qui semble trop étroite ? Peut-être Hopper s’est-il identifié à la locomotive; de même qu’il avait intitulé d’abord, par jeu, et par allusion à sa taille, Self-Portrait l’aquarelle qui finalement, banalement, s’est intitulée Skyline near Washington Square  : une vue de toits et de cheminées dont l’un des éléments s’élève plus haut que les autres.

    On pourrait consacrer une brochure, une petite exposition, un film, aux « Hôtels de Hopper ». D’abord, les hôtels vus d’assez loin, un peu vieillots, fin de siècle, hôtels pour les riches, palaces, même, bord de mer, palmiers, plutôt des lieux de villégiature que de simples haltes pour une nuit, quelques nuits. Pour ces bâtiments aux bâches rayées et multicolores donnant une ombre généreuse au trottoir qu’ils dominent, et même au tapis rouge serti de barres de cuivre qui mène à la porte d’entrée, vitrée, solennelle, accès réservé aux riches et aux porteurs de leurs valises – pour peindre ces bâtiments, paquebots immobiles, l’aquarelle convient. Mais ces hôtels, à vrai dire, je les invente en songeant aux affiches composées par Hopper pour vendre des croisières et des séjours, du luxe ; ou à certaines aquarelles qui représentent des maisons de milliardaires et qui ont un air de palaces : fenêtres nombreuses et stores que froisse un peu le vent et qui leur font de l’ombre, toitures en cascade, bourgeonnement des chambres vers le dehors : Haskell’s House , en 1924, en est un exemple ; comme ces maisons, ces villas qu’il peint à Gloucester, une station balnéaire. Hopper aimait les maisons, les habitations, les demeures ; il en aimait les façades et les concavités, les reliefs, les mansardes, les excroissances, apparus au gré des propriétaires successifs. « À Gloucester, disait-il, en substance, alors que mes amis peintres peignaient des bateaux, la mer, la plage, moi je me promenais à la découverte des maisons. » D’où ces vues du quartier portugais, ou italien. Et ces quelques villas de gens fortunés. Ces villas, à l’allure de casinos, et qui peut-être un jour deviendront des hôtels, désuets et modernes, à trois ou quatre étoiles.

    Je ne vois dans la peinture de Hopper qu’un hôtel un peu majestueux, et sa façade : Rooms for Tourists , peint en 1945 (une assez grande toile : 76,8 sur 107 cm). Il fait nuit, l’hôtel est éclairé, on en voit le salon, le vent fait onduler doucement un rideau, l’enseigne sur la route est blanche, l’hôtel est une villa de belle et noble allure, de style victorien, une demeure où l’on aimerait habiter. Certainement, à l’accueil, au fumoir, dans les chambres, le touriste trouvera, avec la Bible, du papier à lettres aux armes et nom de l’hôtel, et des cartes postales, vue du salon, vue de l’extérieur, vue sur le jardin, qu’il sera fier d’envoyer à ses amis.
     
    Souvent une femme, presque déjà toute déshabillée, est assise sur le lit. La fenêtre est ouverte, le rideau tiré sur un morceau de la ville, un pan de ciel. La voyageuse regarde la vue qu’on a de la chambre, ou ne regarde rien. Elle est fatiguée, elle a ôté ses chaussures, sans doute en frottant un pied contre l’autre, et ses chaussures sont où on les a laissées, participant au désordre des bagages. Elle est pieds nus, ou n’ayant pas encore ôté ses bas. Elle avait chaud. Elle avait hâte de se mettre à l’aise. Elle a posé sur la commode son chapeau comme on se débarrasse d’un casque. Peut-être en a-t-elle recouvert un buste de bronze ou de marbre, sur son socle, comme une pendule : on ne le voit plus ; peut-être est-ce une pendule qui tient lieu de porte-chapeau, de patère ;

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