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Edward Hopper, le dissident

Edward Hopper, le dissident

Titel: Edward Hopper, le dissident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Rocquet
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Hopper sont la traduction et la mise en œuvre de ce qui se joue en lui. Le goût qu’il avait pour le spectacle et le lieu du théâtre, en spectateur et en peintre, ne peut être sans lien avec, en lui, cette dramaturgie essentielle. Sa dernière toile, Two Comedians , met en scène le salut final, l’adieu au monde de deux acteurs. Peut-être, lorsqu’il a représenté à Central Park, au crépuscule, la statue de Shakespeare, ne s’agissait-il au fond que de Shakespeare ?
     
    Certaines peintures accèdent à la hauteur du mythe. Devant elles, devant l’une d’elles, nous pourrions parler, parler encore, vider tout notre sac de paroles, confesser jusqu’à la dernière goutte notre vie, notre étonnement d’être et notre misère de mourir. Nous sommes comme devant un grand mur vide, un miroir, où nous ne nous voyons pas, devant une transparence qui s’ouvre sur l’opaque, l’opacité. Nous pourrions parler, nous ne pouvons rien dire. Nous la regardons, les yeux fermés.
    Nighthawks n’est pas seulement la plus célèbre, et peut-être la plus commentée, glosée, paraphrasée des peintures de Hopper, celle qui a engendré, inspiré le plus de récits, et peut-être le plus de variations en peinture : Greg Constantine, Van Gogh étant attablé au comptoir ; Red Grooms, avec, assis au comptoir,
Hopper… Elle a, dans l’œuvre de Hopper, cette fonction ou cette nature de mythe, que j’évoquais.
    On pourrait s’interroger sur le fait de placer, dans le décor imaginé et peint par un peintre, d’y faire figurer un autre peintre, un confrère, un ancêtre, ou l’artiste lui-même. N’est-ce pas, pour le peintre qui invente cette mise en scène, cette « dramatisation », une façon de dire que la peinture, l’art, est une sorte de lieu spirituel, intemporel ?
    L’histoire de la peinture est une communauté, un atelier perpétuel. La présence de Vincent van Gogh dans la toile de Hopper, reprise par Constantine, s’explique par le souvenir de cette toile intense de Van Gogh, le Café de nuit , à Arles, avec ce terrible soleil de la lampe, au-dessus d’un billard ; tandis qu’au-dessus de la terrasse, les étoiles sont autant de feux, de brasiers célestes ; et dans ce café d’Arles, Van Gogh venait passer une partie de la nuit, buvant de l’absinthe ; seul, exilé ; c’est dans ce café qu’il attend Gauguin venant de Paris ; il a préparé sa chambre, il l’a illuminée de Tournesols . Francis Bacon peindra Van Gogh portant son chevalet, sur une route d’Arles ou de Saint-Rémy, ou des Baux… Communauté des peintres à travers le temps, communauté, avec eux, de ceux pour qui leur œuvre est un foyer de vie ; un foyer, une communauté.
    Greg Constantine, en 1982, donne pour titre à son hommage à Hopper : Vincent Goes Bar Hopping Early Sunday Morning . Avec en prime le jeu de mot sur le nom de Hopper, Hopping , « sautant », « en sautant  » ; c’est un amalgame, un pot-pourri de titres et de toiles, de thèmes du peintre. C’est une espèce de « travail du rêve ». Le jour s’est levé. La nuit est finie. La nuit est passée. Il fait grand jour. On a lavé à
grande eau le carrelage, le ciment, le trottoir. Les clients ne sont plus les mêmes. Vincent est coiffé de son chapeau de paille. Le cadrage n’est plus le même. On ne voit plus la porte qui donne sur les cuisines. On voit clairement les maisons de la rue à travers la devanture du café. L’enseigne publicitaire des cigares n’a pas changé. Van Gogh ne fume pas la pipe. Constantine, au-dessus des maisons qui longent le bar, a peint le haut d’un gratte-ciel. On ne discerne, sur la reproduction, grise, ni l’une ni l’autre des oreilles de Vincent. Mais, sous le calot assez curieux du barman, son oreille est bien visible, tournée vers nous, comme si elle nous regardait.
     
    Il est une chose qui, pour ce qui a trait à Nighthawks , ne me touche pas moins que ce que montre la toile peinte, achevée : c’est la toile nue, vierge, blanche, où rien encore n’est seulement esquissé, et dont nous avons l’image, grâce à une photographie d’Arnold Newman, jeune photographe, et qui deviendra peintre. Newman souhaitait photographier Hopper devant le chevalet et la toile intacte. La photo fut prise dans l’atelier de New York, en 1941. Hopper est habillé avec élégance : veste, cravate, un monsieur distingué, presque chauve, l’air pensif, morose même, renfermé, une cigarette non

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