Elora
contre toute attente, c’était elle, sa mère, qui s’annonçait. Elle dont il s’était réjoui à l’idée qu’elle s’était noyée. Une déchirure se fit sous ses côtes et il n’eut qu’une envie en cet instant, lui qui avait tant souffert de sa haine, ce fut de se jeter dans ses bras, et en pleurant, de lui pardonner.
Fanette avait changé. Le crâne rasé, les sourcils et les cils disparus, l’allure masculine, les taches brunes sur la moitié du visage. Elle savait qu’à part Luirieux, personne ne ferait le rapprochement avec la fille qui était venue vendre ses compagnons de rapine entre le sire Dumas et Enguerrand de Sassenage. Il lui avait suffi de se présenter comme le commis d’un drapier qui aurait doléance à faire au prévôt, suite à une effraction pendant la pendaison. Gêné par sa laideur, le garde avait d’abord fait mine de la renvoyer, Hugues de Luirieux étant absent, puis, devant son insistance, il l’avait laissée passer en lui indiquant le bâtiment qu’elle connaissait déjà. Preuve qu’il avait été trompé. Restait à trouver Petit Pierre. Et à le convaincre de lui faire confiance.
Elle n’eut pas à attendre longtemps. Elle faisait antichambre depuis moins de trois minutes dans la pièce voisine du bureau de Luirieux lorsque la porte qui donnait sur le corridor s’entrebâilla. La tête de son fils passa. Ses yeux, à la fois heureux et inquiets, s’attardèrent sur elle, la submergeant d’émotion. Ils se jaugèrent en silence, la gorge pareillement nouée, puis Petit Pierre entra tout à fait et rabattit l’huis.
L’instant qui suivit ne s’effaça jamais de la mémoire du garçonnet. C’était la première fois qu’il entendait ces mots-là dans la bouche de Fanette. Mots d’amour et de pardon, de regrets et de souffrance. De tendresse et de fierté. Mots tant de fois attendus, espérés. Caresses tant de fois recherchées sans rien en laisser paraître. Quelques minutes de grâce avant que la réalité ne les reprenne, que Fanette ne s’écarte de lui, le visage ravagé. De ses doigts tremblants, elle essuya les larmes qui avaient roulé sur les joues de son fils, indifférente aux siennes.
— Il nous faudrait du temps, dit-elle, et je n’en ai pas à t’offrir. Alors, écoute bien, Petit Pierre. T’es pas un pesneux, tu l’as jamais été.
Il secoua la tête, incapable de répondre, de parler, tant il pressentait l’importance de cet échange. Fanette récupéra le poignard attaché à son mollet.
— L’un de nous deux doit rester pour que les gardes ne se doutent de rien. Faut que ce soit moi, tu comprends ?
Il hocha la tête. Renifla.
— Mouche ton nez et viens là.
Il passa sa manche sur son visage, se cala contre elle et, tandis que ses boucles brunes tombaient l’une après l’autre, écouta le plan que, sans rien dire à personne, sa mère avait mis quelques nuits à échafauder.
Fanette se glissa la première dans le corridor désert. Les vêtements de son fils lui étaient trop petits, mais de loin, en se tassant un peu, elle pouvait, de par sa courte taille, faire illusion. Difficile tout de même de dissimuler son arme. Elle la lui avait laissée. Elle en avait emporté d’autres. Plus subtiles. Elle referma sur elle la porte de la chambre de Luirieux et se mit à la fenêtre. L’action avait toujours été un bon moyen pour elle de refouler ses émotions. De ne pas songer à ce baiser sur la joue de Petit Pierre. À ce mensonge.
— Ne t’inquiète pas. Je m’en sortirai. Je m’en suis toujours sortie…
Cette fois, c’était différent. Elle n’en avait plus envie. Elle colla son front à la fenêtre. Prête à faire diversion s’il le fallait pour que son fils passe la poterne.
Comme elle le lui avait expliqué, il ne se retourna pas, marcha droit devant, en pressant les coudes contre ses oreilles à l’approche du portail. Le froid était vif. Le soldat en faction soufflait dans ses mains, sa hallebarde coincée entre ses cuisses serrées. Le geste de Petit Pierre passa pour normal. Il écarta à peine les pans rabattus de son chapel, juste assez pour dégager légèrement ses cils coupés, ses sourcils rasés, sa joue striée de brou de noix. Grommela :
— Je r’viendrai…
La mise était la même. Le soldat n’en demanda pas davantage. Il le laissa passer. Petit Pierre s’enfonça dans la rue, obliqua dans une venelle, à droite, comme indiqué, le cœur battant et
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