Elora
le monde des Anciens, retrouver ces Hautes Terres dont lui avaient parlé Mounia et les siens, il avait gardé tête haute. Mais les actes de Colomb à l’égard des indigènes, traités comme des animaux et affirmés sans âme, avaient eu raison de sa quête. Mieux valait que personne, jamais, ne souille cette terre autrefois sacrée. Il était revenu, avait brûlé la copie de la carte qu’il possédait.
Les trésors qu’il avait rapportés dans ses coffres n’étaient pas ceux d’une terre promise, mais le butin d’une année entière sur les flots. Enguerrand avait menti à sa mère, à tous. Il n’avait pas cherché d’armateur. Il avait trouvé un pirate dans une auberge mal famée de Lisbonne. Il avait rejoint leur bord, troqué son épée de chevalier contre un sabre d’abordage et découpé en morceaux sa noblesse d’âme. Il avait essayé de laver dans le sang sa souffrance, sa soif de vengeance.
Il aurait pu mourir dans le déshonneur. C’est un prêtre qui l’avait sauvé. Un soir qu’ils mouillaient dans une petite anse discrète où ils avaient coutume de se ravitailler, il avait bu jusqu’à plus soif. En revenant vers le navire, l’envie de déféquer l’avait pris, si violente qu’il avait couru vers un amoncellement de rochers en surplomb de la plage. La dernière chose dont il se souvenait, c’était de s’être entravé. Il s’était réveillé trois jours plus tard, dans la petite chapelle du village voisin, le front ceinturé d’un bandage qui suintait. Le navire avait levé l’ancre sans lui, avant de se faire arraisonner par un corsaire. Lorsque, un mois plus tard, Enguerrand avait quitté son sauveur, ses anciens compagnons des mers se balançaient au bout d’une corde au terme d’un procès bâclé. Aucun survivant, sinon lui.
La voix du Seigneur, lui avait affirmé le prêtre.
Le temps de la rédemption.
Enguerrand était retourné sur la plage, avait longé la côte à marée basse, plongé sous l’arête d’un rocher qui émergeait, et s’était retrouvé dans une grotte emplie du trésor pirate. Il avait engagé des mercenaires, leur avait fait coudre des livrées. C’était avec eux qu’il était revenu à la Bâtie.
Voilà pourquoi il avait été conciliant avec Fanette. Il savait le poids du malheur sur la vaillance des êtres. Ailleurs, dans un autre lieu où nul n’aurait su ses origines, peut-être aurait-il rejoint cette bande, continué ses exactions. Ici, il ne le pouvait plus. Même si déplaire à Luirieux lui eût été jubilatoire, même si son cœur de nouveau et plus fort que jamais s’était durci de haine. Il était redevenu Enguerrand de Sassenage, le fils de Sidonie que tous estimaient dans la contrée. Par égard pour elle, par respect pour le baron Jacques, il n’avait pas le choix. Sinon d’en sauver un parmi tant d’autres. Un qui fût son ami. Un dont il comprenait, pour la partager, la douleur qui avait décidé de sa destinée. Il avait des choses à lui dire. Des choses qui l’aideraient à renaître, comme lui lorsqu’il en aurait fini avec Hugues de Luirieux.
Alors peut-être tournerait-il la page. Il partagerait avec Mathieu cette richesse mal gagnée et se mettrait enfin en paix.
*
Midi les avait vus longer à couvert le péage du pont, raser la lisière des arbres et choisir l’emplacement le mieux adapté à une embuscade, à moins d’une lieue de Saint-Quentin-sur-Isère, que leur proie devait rallier.
Villon et Mathieu étaient partis en reconnaissance, laissant les autres se reposer et manger. La contrée était déserte, les berges de la rivière tranquilles. La neige avait déposé partout sa toison immaculée seulement troublée d’empreintes d’animaux. Renards, biches, belettes, perdrix, lapins… Elles traçaient des sillons parallèles, se recoupaient, s’écartaient, se hasardaient à découvert, se perdaient dans les fourrés, contournaient les roches, les troncs d’arbres, plongeaient sous les ronciers, révélant la vie sauvage. Mais de pas d’homme, de traces de roues, nenni. Il avait fait trop mauvais jusqu’à la veille pour que quiconque se soit aventuré en chemin.
Chemin qui lui-même ne faisait plus qu’un avec les bas-côtés. Les deux malandrins ne s’y risquèrent pas. Ils ignoraient quand le convoi passerait et ne voulaient pas marquer la neige. Ils se contentèrent de border le sentier, à couvert, jusqu’à découvrir l’endroit idéal pour fabriquer une ornière.
Moins
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