Elora
neige, une toise plus loin, dans un craquement de vertèbres. Le troisième tira sur les rênes d’une main, dégaina son épée de l’autre et sauta à bas.
Petit Pierre entendit le haro, en même temps que le bruit, tout à côté de lui. Il tourna la tête, d’instinct.
Sa bouche s’arrondit de surprise. Il n’eut pas le temps de hurler, de prévenir les siens. Le gourdin s’écrasa contre son oreille, le précipitant dans une nuit sans fin.
*
Le meurtre d’un seigneur n’était pas celui d’un marchand. Il n’entraînait pas les mêmes représailles. Ils en étaient convenus d’un commun accord avant de décider d’attaquer. Puisque leur intention était d’utiliser cette prise pour se racheter une vie décente, il était inutile de tuer. Ils étaient assez loin de leur territoire pour que le fait soit attribué à d’autres. De simples foulards sur le visage conjugués à la pénombre suffisaient à ce qu’on ne puisse les identifier.
Lorsqu’ils jaillirent en masse, arc bandé ou braquemart au poing, les deux gardes jetèrent leurs armes, sans discuter. Tandis qu’on les plaquait dos à dos pour les ligoter et qu’un autre s’assurait de la mort du soldat désarçonné, Villon se présenta devant le conducteur, immobile sur son siège, masqué par l’ombre d’un chêne qui courbait une branche au-dessus de la route.
— Nous n’en voulons qu’à ton bien. Tu n’as rien à craindre de nous. Descends.
Enguerrand de Sassenage sonda les fronts et les regards par-delà la barrière de tissu qui recouvrait les visages. Ils se ressemblaient tous de là où il était. Il soupira.
— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée, Villon.
Le malandrin tressaillit à l’appel de son nom. Mathieu aussi au son de cette voix grave, ce timbre légèrement éraillé tout droit sorti de son passé. Il se détacha du groupe, rengaina son poignard à la ceinture et rejoignit son compère qui insistait :
— Ne m’oblige pas à venir te chercher.
Enguerrand cette fois reconnut la tignasse bouclée, le front haut, mais pas la cicatrice qui fermait l’œil droit, pas cette main amputée. Mathieu portait les stigmates de ses luttes d’hier.
Enguerrand détourna le regard, le reporta sur Villon.
— Si je quitte ce siège, mes hommes en faction de chaque côté de la route vous cribleront de flèches, sans faire de quartier.
Mathieu se troubla plus encore. Villon se mit à rire.
— Voyez-vous ça ! Ce sont les miens qui s’y cachent.
— Plus maintenant. Ils ont été défaits, l’un après l’autre et en silence, tandis que j’avançais. Cela fait des jours que les soldats vous pistent.
— Tu mens, vociféra Villon en bondissant vers le marchepied.
Mathieu le retint par la manche.
— Enguerrand de Sassenage ne ment jamais, affirma-t-il d’une voix brisée.
Villon blêmit. Né à Sassenage, il ne pouvait qu’avaliser ce constat.
— J’aurais aimé te retrouver dans d’autres circonstances, Mathieu, se désola le chevalier en toquant sur le couvercle d’un tonneau. Trois coups brefs qui firent reculer les deux hommes au pied du chariot.
Bondissant de leur cachette, les soldats sautèrent à bas du chargement qu’ils avaient remplacé, pour menacer les brigands de leur épée.
— Dis à tes hommes de capituler, Villon. Vous êtes faits, ordonna Enguerrand en levant un bras.
Une trentaine d’individus sortirent aussitôt du bois et s’avancèrent de chaque côté de la route jusqu’à les encercler. Ce n’étaient pas les leurs. Une dizaine d’arbalètes levées étaient prêtes à tirer.
Il ne fallut que quelques secondes à Villon pour évaluer la situation. Des nuages avaient gagné le ciel, voilant par instants l’éclat d’une lune à son dernier quartier. Les soldats ne prendraient pas le risque de toucher le chevalier de leurs traits. S’ils se livraient, aucun n’en réchapperait. C’était la corde qui les attendait. Leur seule chance, c’était de la tenter.
Mathieu aussi l’avait compris, même si son esprit était troublé par son angoisse de père. La crainte que Petit Pierre n’ait été réduit au silence, la gorge discrètement tranchée. Il chassa l’image. Si son fils avait péri, il n’avait plus rien à perdre.
Une fraction de seconde.
Le hurlement de Villon au moment où il pivota vers la forêt, son braquemart levé.
— Haro ! haro !
— Mathieu, non ! gueula à son tour Enguerrand.
Mais Mathieu n’entendit
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