Elora
d’une heure plus tard, La Malice était à pied d’œuvre. Il était maître dans l’art de tendre un piège et celui-ci, profondément creusé dans la largeur de la route, rebouché de branches et recouvert de neige, verrait, sans faillir, les pattes des animaux de tractée se briser.
Petit Pierre était épuisé, davantage que ces hommes aguerris à la route, à l’hiver, au froid. Ses pieds abîmés d’engelures étaient devenus si douloureux que Briseur avait dû le charger sur ses épaules la dernière partie du trajet. Petit Pierre en avait rougi de honte, au point de se débattre en scandant un courageux :
— Je peux marcher, je veux marcher !
La main du colosse s’était écrasée sur son épaule.
— Fais pas l’chiard, petit, tu nous retarderais. Ton courage, tu l’as déjà montré. Grimpe.
Personne ne s’était moqué, au contraire. Le regard empli de fierté de son père l’avait décidé. Petit Pierre avait obéi, conscient soudain qu’il avait effectivement gagné le respect de la troupe, qu’il était devenu du haut de ses dix ans, l’un d’entre eux à part entière. Briseur avait repris sa marche, aussi puissamment qu’avant, et Petit Pierre s’était allégé de ses scrupules pour mieux l’en remercier.
Il n’en restait pas moins qu’il était incapable d’un pas de plus et avait été soulagé lorsque Villon l’avait dispensé d’attaque. Ils se trouvaient en nombre suffisant pour régler son compte à l’aventureux. Mieux valait que Petit Pierre reste en retrait.
Il s’endormit comme une masse au pied d’un châtaignier pour ne s’éveiller qu’à la tombée du jour, glacé malgré la peau tannée qu’il avait étendue sur la neige et la fourrure de son manteau. Il était seul. Avec un frisson d’angoisse, il se dressa, sonda les fourrés alentour. Les bruits portaient loin dans le silence de l’hiver. Oublieux de ses blessures, il bondit sur ses pieds, le sang battant ses tempes. Un trille rebondissait d’arbre en arbre. C’était le signal.
Le convoi avait franchi le pont. Il approchait.
Sans qu’il s’explique pourquoi, Petit Pierre fut saisi par une irrésistible sensation de danger. Refusant de demeurer au campement, il se faufila de tronc en tronc jusqu’à avoir vue sur la route qu’un simple quartier de lune éclairait désormais avec les vestiges du jour.
Il se remémora le plan d’attaque, conçu la veille à la nuitée. Deux archers en position dans les branches hautes des arbres pour découdre la poignée de soldats qui gardaient le péage, au cas où ces derniers s’aviseraient de le quitter. La moitié des malandrins en tenaille autour de l’ornière pour piquer de flèches une escorte potentielle. L’autre en retrait, prête à intervenir si besoin était, partant de l’idée que la vision de Celma pouvait se réaliser. Habitué à l’obscurité, Petit Pierre scruta les alentours. Repéra les silhouettes tapies dans le bois de l’autre côté de la route, se rassura de leur présence. Le crissement s’amplifia de seconde en seconde. Roues qui écrasaient la neige au rythme du bœuf. Pas étouffés des chevaux. Petit Pierre se ratatina en retenant son souffle. Trois cavaliers seulement. Il fallait que le conducteur soit sûr de son fait. La charrette débordait de douze tonneaux. Le soldat aviné qui les avait renseignés n’avait pas menti. À première vue, c’était un marchand de bière.
Il dépassa le garçonnet, que le malaise ne voulait pas quitter. Le piège était plus loin. Petit Pierre compta les secondes. Sursauta d’entendre un cri étouffé à sa droite, un bruissement de feuilles à sa gauche. Tourna la tête vers le bruit. Ne put discerner qu’une portion de nuit à travers la forêt. Tenta de se convaincre qu’il avait rêvé. Reporta son attention sur la route. Là. Maintenant. Il avait bien repéré l’endroit avant de s’endormir tout à l’heure. Un nouveau craquement. La forêt grouillait d’une vie intestine. Rien d’anormal, tenta-t-il de se convaincre.
Les pattes avant du bœuf se brisèrent dans l’ornière, arrachant à l’animal une plainte gutturale, le pliant à moitié sur la route. Le conducteur jura, dressé sur son siège. Son escorte se précipita. L’un descendit de cheval pour tenter de relever la bête, la sortir du trou, le deuxième passa trop près de la tranchée, s’y enfonça. Désarçonné, il voltigea de sa monture, s’écrasa le menton en avant sur la
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