Elora
pas. Comme les siens, dans un même élan de survie, il s’était mis à courir, malgré l’épaisseur de neige, droit sur les soldats qui barraient leur retraite. Droit vers la forêt. Un instant de flottement passa sur le visage des archers, ainsi que l’avait prévu Villon. Suffisant pour faire basculer la situation. Quelques traits fusèrent, traversèrent les corps à bout portant. Les autres n’eurent pas le temps. Comme des diables, poussés par la nécessité, les vingt malandrins s’étaient jetés dans une guerre sans merci. À un contre deux, ils pouvaient encore gagner. Troublant le silence de la nuit, l’acier tintait en s’entrechoquant. Briseur faisait tournoyer sa massue en poussant des grognements de bête, écrasant des joues, emportant des nuques, fauchant des crânes. La Malice, grâce à sa petite taille et à son agilité, s’était faufilé sous la charrette et sectionnait du poignard les tendons d’Achille des soldats qui passaient à portée, laissant le champ libre à ses compagnons qui les pourfendaient lorsqu’ils se déhanchaient. Grognard jouait d’une masse, mais il ne fut pas assez vif pour se garder. Il tomba le premier. D’autres suivirent, malgré la rage qui les habitait et cassait leur fatigue de ces jours derniers.
Villon n’atteignit pas les arbres. Il s’effondra dans la neige, le dos transpercé d’un carreau d’arbalète. Mathieu évita les suivants. Comme plusieurs de ses compagnons, la lame rougie, il s’enfonça à couvert, là où la neige, moins épaisse, reflétait moins la lumière.
Enguerrand avait sauté à bas du chariot sitôt le combat amorcé. Il avait survécu à de nombreux abordages, sur un sol qui se dérobait au gré de la houle, au choc des coques l’une contre l’autre. Il se dépêtra de là neige avec la même agilité. Débarrassa la contrée de trois brigands avant de laisser aux soldats le soin des autres. Il ne voulait que Mathieu. Lui seul.
Il courut dans ses traces, sans se retourner.
16
Bertille n’avait pas oublié l’effrayante révélation de Petit Pierre quant à sa rencontre avec Mélusine. La réaction de Mathieu, la promesse de ne jamais retourner au lac souterrain. Elle s’en remplissait d’effroi de seconde en seconde tandis que, la petite main de Jean dans la sienne, elle s’enfonçait par la galerie qui serpentait sous la montagne. Aucune lumière ne venait crever le plafond, et les deux enfants, pénétrés de mutisme dans le fracas du torrent qui roulait à côté, se demandaient à quel moment leur pied glisserait sur les berges suintantes, à quel moment ils seraient entraînés dans les eaux vives.
— Où on va ? s’était inquiété Jean devant l’empressement soudain de son amie.
— Rejoindre Petit Pierre, avait-elle menti.
— Il est pas parti avec les autres ?
— Non.
Le ton de cette affirmation avait ébranlé les certitudes de Jean. Il avait pourtant insisté, troublé par l’obscurité de la grotte devant lui.
— Pourquoi ?
— C’est un secret. Il m’a fait jurer. Avance et tais-toi.
Jean n’avait pas insisté. Il avait vu Mathieu et Petit Pierre ressortir du tunnel l’autre jour, suant et toussant d’avoir trop couru. Lorsqu’il avait demandé à son demi-frère la raison de cette excursion, Petit Pierre avait pris un air mystérieux.
— C’est un secret. Je te le dirai bientôt.
Bientôt ne pouvait être qu’aujourd’hui. Il devait donc s’en montrer digne, ne pas jouer les pesneux. Mais il avait beaucoup de mal à résister à la peur qui le gagnait.
Lorsque la voix de Celma les héla dans le noir, il reprit de l’assurance. Bertille s’immobilisa.
— Nous sommes là, Ma.
Jean s’amusait toujours de ce Ma, raccourci qu’il n’aurait jamais osé avec sa propre mère. Aujourd’hui, il lui sembla marquer l’air d’une dimension supplémentaire, faite de confiance et de complicité. Deux mots dont il n’avait goûté le sens qu’avec Petit Pierre.
Celma fut là en quelques secondes. Elle s’agenouilla devant eux dans le passage.
— Les soldats du prévôt ont envahi la grotte, annonça-t-elle d’une voix grave.
Jean sentit le sol se dérober sous ses pieds, l’angoisse étrangler sa gorge et un profond sentiment de trahison le gagner.
C’est celui-là qui balaya les autres.
— Alors, on va pas voir Petit Pierre, se renfrogna-t-il stupidement en voulant dégager sa main.
Bertille la broya plus fort dans la sienne. Celma le prit
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