Elora
conquérant au-devant d’elle et de leur fille Laura, née l’hiver précédent.
*
L’heure du grand bouleversement approchait.
La présence permanente de Khalil, l’arrivée imminente du roi Charles et jusqu’à l’embuscade dans laquelle Elora avait vu, en songe, son vrai père se jeter, tout le lui indiquait.
Elle avait donc accepté leur retour à tous au Vatican. Au moins y seraient-ils réunis. Depuis que Jacques et Aymar avaient appris la vérité concernant Algonde et le fils de Djem, ils n’avaient pas seulement pu parler à Hélène. Les deux hommes trépignaient d’impatience. Hélène avait trop pleuré sa dame de compagnie et son fils. S’ils ne pouvaient reprocher à Elora d’avoir dissimulé les faits, ils ne voulaient plus attendre pour soulager la peine d’Hélène.
Elora n’était pas convaincue que les murs du Vatican soient le meilleur endroit pour ce faire, ayant pu juger par elle-même des procédés d’espionnage qu’ils recelaient, mais ils n’avaient pas véritablement le choix.
Refrénant leur enthousiasme, elle avait seulement réussi à les convaincre de lui laisser l’initiative des aveux.
Peu avant midi, César Borgia s’annonça à leur porte. Ils terminaient de prendre possession des appartements, outrageusement luxueux pour qui avait connu l’élégante sobriété du Dauphiné. « La guerre gagnée, notre bon roi ramènera en France le faste et la mode italiens. Le monde s’en trouvera changé », avait prédit Jacques de Sassenage qui, à défaut des mœurs dissolues, se régalait depuis leur arrivée à Rome des fresques et des marqueteries. Elora s’était contentée de sourire. Lui rappelant qu’en matière vestimentaire, l’influence turque était la plus marquée. Elle s’était gardée d’ajouter que, avant longtemps, ce monde-là ne serait plus le sien. Ils n’étaient pas encore prêts.
— Sa Sainteté le pape souhaiterait que vous lui accordassiez une faveur, messires.
Jacques se fit l’écho d’Aymar de Grolée.
— Nous lui sommes redevables de son accueil et, à ce titre, heureux de lui plaire.
— Ses cousines s’apprêtent à franchir la porte nord de la ville et, lui, à les accueillir. Si vous vouliez bien chevaucher à ses côtés…
Manière élégante de faire savoir à l’escorte française de Julie Farnèse la présence du baron Jacques à Rome, songea Elora avant de s’avancer en relevant sur ses chevilles le taffetas de sa jupe bleutée.
— En serez-vous aussi ?
L’œil de César s’enflamma.
— Le peuple de Rome a besoin, en ces temps troublés, de sentir la force d’une famille soudée.
« Parfait », songea Elora. Aucun Borgia pour l’espionner. Elle se tourna vers Jacques et Aymar, qui, comme elle, avaient interprété les sous-entendus de cette invitation. Au pli marqué entre leurs sourcils, elle devina qu’ils appréciaient peu de ne pouvoir s’y soustraire.
— Il ne serait pas raisonnable que je me joigne à vous avec cette affreuse migraine. Je vais m’étendre jusqu’à votre retour, d’autant que Lucrèce, ce soir, nous a préparé un petit jeu, plutôt amusant en vérité puisqu’il déterminera laquelle de nous deux sera la plus en beauté. Il est question, je crois, mon cher César, que vous en soyez juge avec le prince Djem.
— En effet. M’en tiendrez-vous rigueur ?
Elora éclata d’un rire léger, contredisant sciemment son prétexte.
— Ma foi, je ne crois pas. L’éclat tient à peu de chose en vérité. Un peu de repos et je me fais fort de rivaliser avec votre sœur bien-aimée.
César s’inclina.
L’instant d’après, il la quittait, ainsi qu’Aymar de Grolée et Jacques de Sassenage. Elora sortait à son tour dans le couloir pour gagner les appartements de Djem en prenant soin qu’on voie où elle se rendait. Si César avait convaincu son père de leur donner cette mitoyenneté, ce n’était, elle en était persuadée, que pour la rapprocher du prince. De jour en jour, la jalousie qui pinçait le cœur de César devant les sentiments de sa sœur pour Djem s’affichait sur son visage. Quoi de mieux qu’une rivale pour la tenir en respect ?
Elora se fit annoncer par les janissaires qui barraient la porte à double battant. Lorsqu’elle s’ouvrit, le charme et les parfums de l’Orient éclatèrent devant elle. Au fil des années, Djem s’était reconstitué un univers dans ces murs habillés par Pinturicchio. Selon les souhaits du pontife, le
Weitere Kostenlose Bücher