Elora
préparait entre le roi de France et le pape. Jusque-là, et bien que la rue se soit faite le relais de l’avancée spectaculaire du roi Charles et d’une disette que les routes coupées aggravaient, il n’avait été préoccupé que d’Elora. La cueillant le matin devant sa demeure et la lâchant devant la grosse tour qui barrait l’entrée du pont Saint-Ange. Il demeurait une bonne partie de la journée sur les berges du Tibre, amusant les badauds des pitreries de son singe. Puis, profitant de l’office de sexte qui voyait les ruelles se vider, il s’empressait de traverser la ville tout entière, regagnait l’arrière de l’église Saint-Jean-de-Latran, trouvait son campement accolé à l’enceinte d’Hadrien et donnait à son père l’argent récolté avant de repartir par le même chemin, espérant, à la tombée du jour et devant la porte du palais Altemps, recueillir d’elle un sourire, un mot ou davantage qui lui eût permis de mener son projet à bien.
Hélas pour sa patience, Elora ne lui avait plus seulement accordé un regard.
Cette fois pourtant, il jugea que le moment était venu d’agir et de sauver à son tour celle que, discutant entre eux, les mercenaires venaient de nommer la sorcière. Tant pis si cela devait coûter aux siens cette recommandation tant espérée. Il ne laisserait pas le pape la faire brûler.
*
Alexandre VI avait en quelques mois vu s’écrouler une à une ses cartes maîtresses. Ceux qu’il avait couverts d’or et de prébendes s’étaient couchés devant le roi Charles. Son rival, le cardinal Julien della Rovere, ragaillardi par les lettres de Bayezid et les prédictions de Savonarole, rameutait la chrétienté pour exiger sa destitution. Chaque jour apportait son lot de mauvaises nouvelles. Une des armées françaises, dirigée par le roi lui-même, menait ses six mille fantassins et quatre mille cavaliers droit sur la Ville. Alexandre VI ne pouvait plus compter que sur le duc de Calabre, lequel, dans l’impossibilité de contenir cette marée humaine, était arrivé la veille. La nuit durant, avec le comte de Pitigliano, capitaine général de l’Église, son gendre Giovanni Sforza, et ses chefs militaires, le pape avait échafaudé de nouveaux moyens pour défendre le Vatican. César avait proposé de murer les portes du nord de l’enceinte, barrant ainsi l’accès au roi Charles qui venait de Viterbe.
Mais cela ne pouvait suffire. En ce matin du quatorze décembre, des canons étaient hissés au sommet du château Saint-Ange et répartis de part et d’autre des créneaux. Des prélats allaient et venaient, lourdement chargés de coffres pour mettre en sécurité les reliques, les tiares et autres pièces somptueuses du trésor pontifical. Il en allait de même des meubles, argenterie, tapisseries, tapis et lustres précieux montés l’un après l’autre par la rampe d’accès recouverte de marbre et de mosaïque, dans les appartements et salles de réception qui voisinaient le tombeau de feu l’empereur Hadrien, au dernier étage de la forteresse. Du chemin de ronde on pouvait embrasser Rome et la plaine du Tibre. Il n’était pas de meilleur endroit pour se retrancher en cas de siège.
Alexandre VI en était convaincu. Pourtant, il demeurait partagé entre l’envie de fuir à Naples, où son ami Alphonse II lui offrait refuge, et celle de tenir tête à ses détracteurs. Quittant la salle du conseil au petit jour, César l’avait pris en aparté pour lui conseiller de ramener le baron de Sassenage au Vatican. Ils ne pouvaient se passer d’une monnaie d’échange aussi précieuse.
Alexandre VI s’était préparé à cette éventualité, depuis, en vérité, que cette petite garce l’avait défié. La violence du plaisir qu’elle lui avait finalement donné avait chassé les affres de ses tortures. Il s’était damné depuis longtemps pour bien moins. Ainsi que Savonarole se plaisait à le clamer, en s’emparant du Latran les Borgia avaient chassé le divin de Rome. Il n’avait aucune raison de trembler. Le diable était un allié. Il suffisait juste de lui vouer le culte qu’il escomptait.
Lorsque César, s’inclinant devant lui, lui rapporta que Jacques de Sassenage et sa suite s’étaient installés dans l’appartement voisin de celui du prince Djem, il en éprouva une sincère satisfaction et acheva de se parer, le cœur gorgé d’une joie puérile. Julie Farnèse était annoncée et il tenait à se porter en
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