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Elora

Elora

Titel: Elora Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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peintre avait cédé aux demandes de Djem. Les allégories avaient oublié d’être bibliques, s’étaient teintées d’ambre et de grenat, évoquaient la liberté par une chevauchée sauvage, ou une nuée d’étoiles au plafond, sans parler d’un mur entier qui, montrant Djem aux côtés du pape et de ses enfants, révélait l’influence de sa présence sur la mode de la cour. Les êtres chers à Djem étaient au centre de fresques encadrées d’arabesques à la feuille d’or, jusque dans les colonnades qui les séparaient les unes des autres. Dépourvu de modèle, l’artiste s’était aidé de la description que lui en avait faite le prince pour les représenter. Guy de Blanchefort côtoyait là Jacques de Sassenage devant un château qu’on pouvait prendre pour la Bâtie. Sur une haquenée blanche, une jeune femme aux cheveux tressés laissait deviner Hélène, un Turc imposant cabré sur un alezan, son ami Houchang, un autre au nez aquilin, sec et puissant de regard, son frère de lait, Anwar, mort empoisonné.
    Le seul dont on pouvait sans faillir reconnaître les traits était Juan de Gandie, le frère aîné de Lucrèce et de César. L’unique Borgia pour lequel Djem avait ressenti une véritable amitié. Juan l’avait quitté. Il vivait aujourd’hui en Espagne où peu à peu il échappait à l’emprise de sa famille par son amitié pour Isabelle et Ferdinand d’Aragon. Djem n’échangeait plus avec lui qu’une florissante correspondance.
    Sur le manteau de la cheminée, un croissant rappelait discrètement la religion musulmane, de même que les volutes travaillées des deux côtés de l’encadrement. Au milieu de cette salle de réception tout en longueur, des coussins profonds et moelleux habillaient d’orange et de pourpre des banquettes rases de bois sculpté. D’épais tapis réchauffaient le marbre du sol.
    Pour l’heure, les narguilés avaient été repoussés sur les côtés. Nassouh le tchélébi et Sinan Bey, revenus à ses côtés par la grâce du pape, étaient attablés avec d’autres fidèles compagnons devant des plateaux de cuivre ouvragé débordant de volailles, légumes, fruits et pâtisseries. Ils y trempaient leurs mains soigneusement lavées par l’eau parfumée que leur renouvelaient les valets.
    Parmi ceux-là, sagement et respectueusement soumise derrière Djem, Elora reconnut sa mère adoptive. Malgré cette attitude, bien éloignée de son tempérament fougueux et de son éducation, Hélène de Grolée semblait heureuse, consciente que c’était le prix à payer pour demeurer en permanence et en sécurité auprès de l’homme qu’elle aimait.
     
    À l’entrée d’Elora dans la pièce, Djem bondit sur ses pieds, reprenant un jeu qu’ils entretenaient même en privé, pour parer à toute indiscrétion. Excepté Nassouh et Sinan Bey dont le prince répondait comme de lui-même, personne ne savait.
    — Hélène, ma chère Hélène, quelle délicieuse surprise que de vous voir ici, en ce palais, s’empressa-t-il en lui prenant les mains pour les embrasser.
    — Apprêtez-vous à m’y croiser souvent, Djem, puisque nous sommes voisins désormais.
    — Vraiment ?
    Elora, saisissant le regard inquiet de sa mère adoptive, s’empressa d’expliquer :
    — Le peuple qui subit la famine est agité de rancœurs. Comment leur en vouloir ? Les Romains n’en peuvent plus de cette guerre qu’entretient Sa Sainteté et du coup, aux dires de César Borgia, menacent notre sécurité.
    Il l’entraîna vers la banquette, le front soudain barré d’un pli soucieux.
    — J’ignorais cet état de fait, mais cela ne me surprend guère. Mon ami, le cérémoniaire Burckhardt, m’a raconté hier qu’à la demande du Saint-Père il avait tenté de rallier à la cause du Vatican les Germaniques installés à Rome. Il n’a réussi qu’à mobiliser un petit groupe d’une vingtaine de personnes, tenanciers d’auberge, bottiers, serruriers, barbiers, trop pacifiques eux-mêmes pour retourner le peuple contre les Français. Mais ses ordres sont de tout faire pour y parvenir.
    — Un jeûne bien orchestré vaudrait mieux qu’un discours frelaté ! s’exclama Elora en s’installant joliment sur les coussins.
    Elle salua l’aréopage du prince d’un élégant hochement du menton. Après lui avoir poliment répondu, ils se remirent à discuter entre eux. Djem les regarda reprendre des mets savamment cuisinés, s’excusa :
    — J’approuve votre sentiment,

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