En ce sang versé
abandon y régnait, à ceci près qu’une paillasse crasseuse était poussée contre un mur, une couverture roulée en boule à un coin.
Hardouin s’en approcha. Sans qu’il sache pourquoi, une vague tristesse l’effleura. Louis d’Ayon avait déserté sa propre vie des années auparavant. Bah, pourquoi s’apitoyer sur lui : Ayon avait eu la naissance, le nom, le titre, le rang et les biens. S’il avait été incapable d’en faire digne et bon us, la faute lui en revenait.
Ils découvrirent vite la cave, située en bout de couloir, à droite d’une cuisine dont provenaient des relents de pourriture et de viande trop faisandée, guère plus supportables que ceux qu’exhalait feu Louis d’Ayon.
Se baissant, ils descendirent un escalier tournant. Hardouin se fit la remarque que les marches tranchaient sur la saleté et le désordre qui régnaient ailleurs. Elles avaient été balayées peu avant. Ils débouchèrent dans une petite salle souterraine. Il souffla :
— Quelqu’un a trépassé céans, il y a peu.
— Que… ? bafouilla Tisans, clignant des yeux afin de s’accoutumer à la pénombre, seulement trouée par la lueur incertaine qui filtrait de deux étroits soupiraux.
— La mort, cette vieille connaissance. Je la renifle. Son odeur colle à mes talons depuis si longtemps, murmura le bourreau, si bas que son compagnon de route ne l’entendit pas.
— Je ne vous ouïs point.
— Aucune importance. S’y mêle celle des déjections, assez récentes.
Hardouin s’approcha du mur qui lui faisait face, le détaillant, sans rien constater. Il se recula et sa botte s’enfonça dans un objet mou, évoquant une étoffe. Il se pencha, parvenant difficilement à distinguer le petit amas qui gisait sur la terre battue, et souleva ce qui s’avéra être un bas de laine fine, puis un second. Il s’approcha d’un des soupiraux et les détailla. En haut, à l’endroit où un lien de chanvre maintenait le bas gris à mi-cuisse ou sous le genou, deux initiales, brodées d’un sobre fil rouge : H.T. Le marquage des changes de linge attribués à chaque moniale. Elles devaient en prendre grand soin et ne les remplacer qu’après longue usure. Il les tendit à Tisans sans un mot.
Le sous-bailli les considéra un instant, sans paraître comprendre. Soudain, l’exécuteur des hautes œuvres vit l’homme enfouir son visage dans les bas de sa fille. Ses épaules s’affaissèrent et une quinte de sanglots l’étouffa. Par décence et par respect, Hardouin poursuivit l’inspection du lieu.
Dans le coin opposé gisait une discipline, non loin d’un bol. À quelques pas, cinq bouteilles de terre cuite. Il les renversa. Quelques gouttes de vin s’écoulèrent de deux d’entre elles, preuve qu’elles n’avaient été vidées que peu avant. Des formes indistinctes et plus ou moins sèches ponctuaient le sol, là où Henriette de Tisans avait été contrainte de se soulager.
— Il l’a frappée. Sans doute était-elle entravée d’une pièce de tissu, pas une corde puisqu’elle ne portait pas de trace aux poignets, ni aux chevilles. Il a dû rester assez longtemps en sa compagnie, si j’en juge par le vin qu’il a bu récemment céans.
D’une voix heurtée, Tisans vérifia :
— Elle a été assassinée dans cette cave ?
— Je le crois.
— Pourquoi ?
— Je ne sais. Quelqu’un qui lui en voulait assez pour la détenir au moins trois jours, en l’abreuvant… le bol, mais, peut-être sans la nourrir. En la frappant d’une discipline. Lui épargnant les outrages de femme, sans la torturer de démente façon ainsi qu’il l’aurait pu puisqu’elle était à sa merci… puis en l’étranglant. Il s’est servi de la haquenée pour la ramener à l’abbaye, voulant qu’on la trouve. Afin que ceux qui savaient comprennent ? Il eût été bien plus expéditif, commode et moins risqué de l’abandonner au plein de la forêt. Non, il souhaitait que l’on sache qu’elle avait été assassinée. Raison pour laquelle il a enroulé la cordelette autour de son cou après l’avoir rhabillée. En omettant les bas. Peut-être ne les a-t-il pas trouvés ? Peut-être les enfiler à une morte devenait-il trop ardu ? Peut-être les a-t-il simplement oubliés ?
— Mais pourquoi ? Ceux qui savaient quoi ? cria Tisans que la colère faisait trembler.
— Comment pourrais-je vous répondre ? Sortons, voulez-vous ?
— Maudit, vil serpent, damné ! Rôtis en enfer pour
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