En ce sang versé
Hardouin en réfléchissant.
La solution s’imposa soudain à lui et il tira la liste de Blandine Creusot glissée dans son gipon.
— Sapristi 6 !
— Quoi, quoi ? s’énerva Tisans.
— Ah, par la sambleu ! Nous retournions en Nogent, notre tâche accomplie. Aussi ai-je interverti, par aisance, l’ordre de visite annoncé par la damoiselle Henriette, puisque cette Sylvine Brochet demeure non loin de la ville, à Champrond-en-Perchet. Nous avons commencé par les Lecoq, tout comme votre défunte fille. Ensuite, elle alla récupérer l’amende chez cette Sylvine Brochet demeurant juste à côté de Nogent-le-Rotrou donc, et termina par le seigneur Louis d’Ayon, à Saint-Jean-Pierre-Fixte, ce qui la rapprochait des Clairets pour le retour. Elle n’a point nuité chez les fermiers indélicats, nous le savons, se contentant d’une légère collation d’après-midi. Mais, qu’en fut-il chez cette femme Brochet, d’autant que la damoiselle Henriette a dû y arriver fort tard, sans doute à la nuit échue, preuve d’un beau courage pour une dame non escortée ? Étant entendu la bonne lieue et demie qui séparait ses deux derniers aumôneurs, je parierais qu’elle a requis hospitalité de la femme Brochet.
— Si votre théorie est exacte et que voici notre suiveur, il aura donc été surpris, se demandant où nous nous rendions après avoir quitté la ferme Lecoq.
— Hum… cependant, votre remarque tient toujours. Pourquoi nous suivre ? Que craignait-il, s’il s’agit bien de lui ? observa Hardouin.
— Ah ça ! Mais nous l’allons apprendre bien vite, s’écria Tisans en repoussant sur son épaule un pan de son mantel doublé de renard, dégageant ainsi le fourreau de son épée.
Il fonça sans plus d’explications vers la haute porte en arrondi du manoir et heurta des deux poings ses lourds panneaux de bois sombre, renforcés de traverses cloutées et rouillées. Il hurla :
— Au service, à l’instant ! Ouvrez sitôt, par ordre de monseigneur Charles de Valois, justice du roi ! Félonie 7 et commise 8 pour qui s’y refuse !
Rien, le silence seulement troublé par le souffle d’exaspération de Tisans et les caquètements lointains des poules.
Hardouin cadet-Venelle s’éloigna de quelques pas et s’arrêta devant une étroite fenêtre occultée d’un volet. Il tira sa dague et la faufila dans l’interstice ménagé entre le mur et le panneau de bois. Sa lame souleva sans difficulté la clenche. Une odeur pestilentielle le fouetta au visage lorsqu’il ouvrit le volet. Il recula de trois pas, prêt à dégorger, haletant :
— Divin Agneau… de la charogne bien avancée ! J’en connais l’odeur aussi bien que ma vie. J’entre et vous ouvre.
1 - De petra fixa , « pierre fichée », une pierre druidique qui atteste que ce village était un endroit de culte pour les Gaulois. La fontaine de l’église, christianisée sous le nom de fontaine Saint-Jean, était le lieu d’un très ancien « culte des eaux. »
2 - Au sens propre à l’époque : cordon, en général terminé de ferrets aux deux bouts, qui servait à attacher le haut-de-chausses au pourpoint, empêchant le premier de glisser sur les jambes. Au figuré, dans l’expression « nouer l’aiguillette » : jeter un sort à de nouveaux mariés.
3 - Rappelons que si la foi était presque générale, il existait cependant à l’époque pas mal de textes ou de chansons, pour certaines obscènes, vilipendant l’Église et les moines.
4 - Rappelons que le manoir à l’époque était simplement la demeure d’un noble, donc, en général, plus vaste et mieux construite. Le terme ne prit sa signification de « petit château » que bien plus tard. Les manoirs n’avaient pas vocation militaire. Le droit d’armement, de donjon ou de tours de défense leur était refusé.
5 - Tresse de paille avec laquelle on nettoyait les cheveux. A donné « bouchonner ».
6 - Altération jugée correcte du juron « sacris » blasphématoire.
7 - Rébellion ou dérobade d’un vassal, acte considéré comme un crime.
8 - La félonie étant attestée, le suzerain avait le droit de confisquer le fief du vassal, il s’agissait de la commise. Dès après le XIII e siècle, cette commise devint moins « physique » la rétorsion étant alors financière et évitant un affrontement militaire.
XXV
Alentours de Saint-Jean-Pierre-Fixte,
décembre 1305, peu après
L a scène qui se
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