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En ce sang versé

En ce sang versé

Titel: En ce sang versé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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tonna :
    — Il suffit ! Que sont ces abominations, ces délires d’ivrogne ?
    La voix calme et plate de la fausse mendiante s’éleva :
    — Vous cherchiez la vérité, seigneur bailli. Allons, courage. Entendez là maintenant. Je jure sur mon âme que ce qui fut tracé dans cette lettre est vérité. Reprends ta lecture.
     
    Il me faut repartir vers un passé haï afin que ceux qui me liront entendent 6 , peu me chalant leur pardon.
    Maudit à jamais si je mens : je jure devant Dieu qu’Henriette de Tisans noya sa jeune sœur Hermione alors âgée de seize ans…
     
    — Quoi ! Cessez à l’instant ! Que ne l’ai-je étranglé de mes mains, cet immonde mécréant, menteur, impie ! tempêta le sous-bailli.
    — Silence ! hurla Sylvine d’une voix si forte qu’Hardouin sursauta. Qui êtes-vous pour vous arroger le droit de décider quelle vérité verra le jour, quelle autre sera ensevelie ? N’extirpez-vous pas celles que vous exigez de connaître à force de tenailles, de brodequins 7 , et d’estrapade 8  ? Allons, messire, virez-vous soudain mauviette 9 lorsque votre sang est accusé ?
    — Venelle, quittons sitôt cet antre démoniaque ! Je n’écouterai plus un mot, déclara Tisans d’une voix tremblante de rage.
    Mais Sylvine semblait hors d’atteinte. Elle cria à nouveau :
    — Assoyez-vous, ai-je ordonné ! Je ne redoute plus rien, ayant déjà subi le pire. Vous écouterez ce testament d’une autre victime de votre fille. Puis, vous écouterez le discours que je ressasse depuis des années afin de vous le livrer. À défaut, et sur ma foi, je les rendrai publics. Devant la populace assemblée, m’entendez-vous ? Ainsi en ai-je décidé, ainsi en sera-t-il ! Assoyez-vous et tenez-vous coi !
    Se radoucissant aussitôt, elle indiqua à cadet-Venelle que l’encombre rendait muet :
    — Poursuis, mon beau seigneur. Après tout, qui mieux que toi connaît la pourriture de certaines créatures ?
     
    Le temps me presse, mon ultime interlocutrice s’impatiente. La mort est assise en face de moi depuis si longtemps. Ce soir, elle piaffe, me sachant enfin sien.
    Avait-on jamais vu plus aimables tourtereaux en mamours ? Ils étaient gracieux, doux et si bellement assortis, qu’à l’évidence, Dieu avait de tout temps prévu qu’ils se rencontreraient. Nicol, mon jeune cadet, connut Hermione de Tisans lors d’une foire au drap en Nogent-le-Rotrou. Il en tomba aussitôt en fol amour, amour partagé. Quel bonheur, quelle absolue récompense à les voir tous deux, main dans la main, se dévorant du regard, se chuchotant de gentilles folies, riant pour un rien. Il lui volait parfois un petit baiser de cou ou de joue et tous deux rosissant tels des…
     
    — Votre pardon, murmura l’exécuteur des hautes œuvres, le mot est presque indéchiffrable, son encre diluée dans un pleur… Je pense qu’il convient de lire « d’angelots ».
     
    … rosissant tels des angelots, en dépit du fait que Nicol avait cédé son pucelage depuis belle heurette. Hermione de Tisans évoquait une fée. Enchantement de chaque instant, elle parvenait à transformer la plus maussade journée en éclat de joie et de lumière. Elle craignait cependant d’informer son père que son cœur lui avait été ravi par Nicol. Si nous n’avons certes pas à rougir de notre nom et de notre sang, notre faste n’est plus qu’un lointain souvenir. Mais, adorable mie, submergée de félicité, impatiente de pouvoir enfin parler de Nicol, elle s’était confiée à sa mère qu’elle adorait et à son aînée qu’elle croyait bienveillante. Henriette exigea de rencontrer mon frère, quoi de plus normal…
     
    Tisans, blême jusqu’aux lèvres, avait baissé la tête et serrait si fort le gobelet entre ses mains que M. Justice de Mortagne craignit qu’il le brisât.
     
    … Que se passa-t-il alors dans son vil esprit troublé ? Henriette tomba à son tour en amour avec Nicol, qui captivait les filles, telles abeilles affolées par un miel de printemps. Une jalousie de femme, aussi ignoble que meurtrière, lui empoisonna le cœur, à moins qu’il eût déjà été rongé de mauvaiseté. Quelques jours s’écoulèrent. Hermione si joyeuse, si amoureuse de vie, s’assombrit. Sylvine Brochet, qui servait notre famille…
     
    Hardouin interrompit sa lecture et dévisagea celle qu’il avait prise pour une mendiante de rues. Le regard bleu glace le fixa en retour. Pourtant, il fut certain

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