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En ce sang versé

En ce sang versé

Titel: En ce sang versé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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matérialisa peu à peu dans la semi-pénombre les sidéra. Louis d’Ayon, à l’évidence, s’était pendu à la poutre maîtresse d’une salle d’assez modestes dimensions, d’une saleté repoussante. Ses deux pieds, flottant un peu au-dessus du sol, avaient été partiellement dévorés. Les auteurs de ce sacrilège furent vite démasqués, lorsque le regard d’Hardouin tomba sur un énorme rat qui filait au bord de la table recouverte d’immondices : reliefs de repas, miche de pain grignotée que le gris-vert de la moisissure commençait d’envahir, bandes crasseuses de mollets en chanvre. Des boutilles 1 vides en terre cuite s’amoncelaient dans tous les coins de la pièce, sous la fenêtre et la table. Hardouin s’approcha du pendu, regardant où il posait les pieds. L’écho de furtives cavalcades le renseigna : ils dérangeaient nombre de charognards dans leur festin. Heureusement, le froid et la saison avaient épargné au défunt l’outrage des mouches et des asticots. Il détailla le visage d’un bleu violacé, les longs cheveux gris et sales, la langue protruse, les chevilles velues, le bas du ventre découvert, verdâtre et gonflé de décomposition. Une escame 2 gisait non loin, renversée sur le flanc. Celle sur laquelle avait dû grimper le seigneur d’Ayon pour mettre fin à ses jours.
    — Depuis quand est-il mort ? s’enquit Tisans.
    — Je ne sais au juste. Quatre ou cinq jours pour puer autant. Le décrochons-nous ?
    — Ses chairs sont visqueuses d’humeurs nauséabondes et risquent de souiller nos vêtements. Je n’ai guère envie d’emporter cette puanteur sur moi, argumenta Tisans. Nous aviserons plus tard. Son… état ne s’aggravera guère… Après tout, il s’agit d’un suicidé, et il ne mérite ni honneurs ni respect 3 . Il sera pendu au gibet pour l’édification de tous et ses restes ensevelis quelque part, peu importe.
    Hardouin contra :
    — Pas s’il souffrait d’une maladie de folie ou d’idiotie. Or l’abus d’alcool peut engendrer la première. Il convient de s’en assurer afin qu’il jouisse alors d’un enterrement chrétien, épargnant aux siens la confiscation de ses biens et l’affreux spectacle de sa dépouille traînée par les rues avant d’être jetée dans une fosse non consacrée.
    Tout en parlant, il scrutait la table, le sol, le manteau de la cheminée, le coffre en vilain bois poussé contre un mur, à la recherche d’un ultime message laissé par le pendu, expliquant son geste. Tisans reprit :
    — Mais alors… qui montait ce cheval dont la robe est couverte d’un givre de sueur ?
    — Ah, fichtre… je n’y avais point pensé, admit le Maître de Haute Justice.
    — Sortons, voulez-vous ? Cette pestilence me fait monter la bile dans la gorge.
    — Bien volontiers, seigneur bailli.

    Ils s’aérèrent quelques instants en silence. Tisans, peu affecté par leur découverte morbide, s’enquit :
    — Que faisons-nous ?
    — Nous y retournons, bien sûr, et fouillons la demeure.
    — Vous pensez que…
    — Je ne pense rien, mais m’en assure. Notre première… rencontre avec le sieur d’Ayon nous épargnera de supporter à nouveau ses remugles. En revanche, bien que de taille modeste, ce manoir possède d’autres pièces où on a pu détenir votre fille.
    Réprimant leurs haut-le-cœur, ils longèrent le mince couloir où s’ouvrait la salle dans laquelle ils avaient découvert le pendu. Ils parcoururent au pas de charge les trois pièces de l’étage. Partout se lisaient l’abandon, la défaite, le désespoir d’un homme que la vie avait fui bien avant sa mort. L’épaisse couche de poussière, les toiles d’araignée conquérantes, les petits amas de crottes de souris, les meubles cassés, renversés, les murs envahis de langues verdâtres d’humidité ou crépis de salpêtre, l’odeur de renfermé, de mal-être, tout attestait de la pathétique déroute du seigneur Louis d’Ayon. Quelques livres chus sur le plancher avaient été presque entièrement dévorés par les rongeurs.
    — Nul n’est monté céans depuis des lustres, observa Hardouin. La cave !
    — Il en existe rarement dans les demeures de Perche. Le sol est trop humide et argileux.
    — J’en possède une, creusée dans l’argile et voûtée ensuite de pierres renforcées de madriers.
    Par acquit de conscience, ils visitèrent la pièce située en face de la « salle au pendu ». Le même état de sinistre et misérable

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