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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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même temps les deux
clefs, la porte s’ouvrit mais ne découvrit rien qu’une série de tiroirs.
Cependant, chacun de ceux-ci portait en son milieu une petite ouverture dans
laquelle Maître Sanche, tandis qu’il parlait, introduisit un morceau de métal,
carré du bout, qui, semble-t-il, faisait fonction de sésame, car à peine
l’avait-il enfoncé que le tiroir, avec un déclic, incontinent venait à lui.
    — Voici, dit le très illustre
maître, le verdet ou vert-de-gris que les commères de Montpellier préparent à
partir de plaques de cuivre qu’elles laissent tremper dans l’alcool. Voici
encore l’alun, le bitume, le borax, le cinabre, l’orpiment, le vif-argent, le
corail et dans ce tiroir-ci (il le retira de son logement et, le saisissant, le
tenant fort serré contre lui, il montra son contenu), voici, dit-il, des
perles, des gemmes, de l’or et de l’argent.
    De quels feux, de quel brillement
éblouissant, de quelles scintillantes couleurs drillaient sur le velours ces
beautés mises à tas ! Quels somptueux joyaux de reine ou de favorite se pouvaient
voir en ce négligent amas, non pas voués à la parure d’un royal tétin, mais
hélas ! à l’intérieure usance, et destinés à perdre leur lustre et
splendeur dans le bren d’un intestin. À peine, au reste, nos yeux eurent-ils le
temps de se rassasier de ces merveilles que déjà Maître Sanche, avec une
prestesse de magicien, avait remis le tiroir en son logement, reverrouillé le
cabinet des deux clefs dentelées, et ycelles escamotées sous sa robe.
    — Eh quoi ! dit Samson. Se
peut-il qu’on use de pierres si précieuses dans la composition des
médecines ?
    — Assurément, dit le maître
apothicaire en me reprenant des mains sa baguette. Sachez, mon beau neveu, que
l’apothicairerie, parmi les innumérables drogues qu’elle façonne, compte quatre
préparations magistrales et souveraines qui sont – retenez-bien leurs
noms :
    la thériaque,
    le mithridate,
    l’alkermès,
    et l’hyacinthe.
     
    Or, dans l’hyacinthe, qui est
elle-même un gemme, entrent vingt-neuf ingrédients au nombre desquels on compte
l’or, l’argent, le saphir, la topaze, la perle et l’émeraude.
    — Mais seul un roi peut acheter
médecine si coûteuse ! s’écria Samson.
    — Un roi, un prince, un évêque,
Sa Sainteté le Pape, ou un grand financier, dit Maître Sanche avec un fin
sourire. Jacques Cœur y était, dit-on, fort adonné [20] .
    — Très illustre Maître, dis-je,
vous avez mentionné l’alun. Monsieur mon Père s’en servait à Mespech pour
arrêter et resserrer les flux du ventre.
    — Bene ! Bene ! L’alun est un astringent. Mais, ajouta-t-il en se testonnant la barbe
d’un air quelque peu paillard, il est d’autres usances plus ésotériques. (Ici,
il m’envisagea mi-sérieux, mi se gaussant.) Et celles-là, vous aurez peut-être
un jour à les recommander à vos belles pratiques quand vous serez docteur en
médecine, mon beau neveu. Car on dit que l’alun fait miracle en de secrètes
parties de la femme et que Cléopâtre en usait pour raffermir et resserrer les
parois intérieures de son calibrys, donnant ainsi chaque fois à César
l’illusion d’une virginité renaissante.
    À cela je ris à gueule-bec et envisageai
Maître Sanche d’un œil nouveau, tant me plaisait que transparût sous sa superbe
une humaine et gaillarde humeur. Mais à vrai dire, j’aurais dû m’en aviser plus
tôt, à observer la verte beauté de son épouse. Cependant Samson, qui rougit à
ouïr ce dru propos, dit incontinent :
    — Très illustre Maître, pour
revenir à l’hyacinthe, comment peut-on faire avaler au malade tant de pierres à
la fois, fussent-elles précieuses ?
    — Haec est bona questio [21]   ! s’écria Maître Sanche à qui n’avait
point échappé l’intérêt que Samson portait à sa profession. En outre, peut-être
parce qu’il était lui-même si laid, il était fort atendrézi par l’insigne
beauté de mon frère, lequel, dans les jours subséquents, il ne pouvait à table
envisager sans murmurer dans sa barbe : Ha ! Que matador !
Que matador ! Ce qui, Fogacer me l’apprit, voulait dire en son jargon
marrane : Ha ! Comme il est beau !
    — Sachez, mon neveu, dit-il en
le saisissant par le bras, que l’on pile en un mortier tout ou partie de ces
pierres selon la dose prescrite en un droguier. Et les ayant ainsi réduites en
poudre fort fine, on les mélange à une quantité

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