En Nos Vertes Années
vous
devrez y prendre garde. Le mal de Naples est quasi déconnu au plat pays dont
vous venez, mais non point hélas, en une grande ville comme Montpellier. Le
bachelier Fogacer vous le dira. Dans la rue des Etuves où Messieurs les
écoliers ont coutume d’aller prendre les bains, s’ébattent comme mouches au
soleil une nuée de loudières qui ont des chambrettes proches et s’escambillent
pour quelques sols. D’aucunes de ces gouges sont fort jeunes et accortes, la
charnure ferme, la trogne belle, le tétin pommelant. Or, les droles qui, comme
vous, mon beau neveu, ne rêvent que de s’emmistoyer, et vont goûter à ces
fruits, si beaux au-dehors, si pourris au-dedans, se réveillent un beau matin,
le nephliseth navré et gangrené, et combien même que le sublimé corrosif
leur apporte la curation de leur mal, les cheveux leur tombent et les dents
aussi.
Tudieu ! Pensais-je tout en
branlant du chef avec componction, que de défenses me sont faites en cette
officine ! Typhème, pour ce qu’on la colloque par mariage au Docteur
Saporta ! Fontanette, pour une raison que je ne sais encore ! Et
maintenant jusqu’aux ribaudes de la rue des Etuves ! N’est-il donc point
de bachelette en cette belle ville à qui un honnête drole peut confier son nephliseth désoccupé, sans perdre pour autant son poil et sa denture ?
Vais-je vivre ici affamé à table comme chien, escouillé au lit comme ermite et
sublimant moi aussi mon solide corps dans les aigres vapeurs de la
chasteté ? Mais quoi, comment y tenir ? C’est clore trop durementl’ aludel et tant il est opprimé de fumée sans issue qu’à la fin il éclate !
Cependant, Maître Sanche continuant
à m’envisager d’un œil sévère, et Samson m’envisageant aussi, béant de me voir
ainsi accommodé, je voulus celer ma confusion et, leur tournant le dos, je
m’approchai d’un des aides labourant dont le front dégouttait de sueur.
— L’ami, lui dis-je, que
piles-tu ainsi à grand’peine dans ce mortier ?
— Il ne saurait vous répondre,
dit Maître Sanche s’approchant à son tour. Il est, comme son frère jumeau, dans
un grand empêchement de langue. Et à vrai dire, ils émettent des sons, mais je
suis seul à les entendre, ce dont je suis fort aise, car ainsi, ils ne peuvent
révéler à âme qui vive le secret de mes préparations.
Ceci fut prononcé à mi-voix, avec un
sourire des plus fins. Mais ayant dit, Maître Sanche se remit incontinent la
face droite (pour autant qu’il le pouvait, ses yeux restant bigles et son nez
tordu) et nous envisagea l’un après l’autre fort gravement.
— Mes beaux neveux, reprit-il,
ce qui diffère et varie d’un apothicaire à l’autre, ce n’est point tant la
composition des drogues, laquelle est de tous grosso modo connue, que la
proportion exacte des ingrédients l’un par rapport à l’autre et le tour de main
pour les lier ensemble, soit par sublimation, soit par décoction, soit encore
par réduction. Il y a en ces opérations, credi mihi experto Roberto [23] une somme immense de recettes occultes que d’aucuns de ma confrérie m’envient
et me voudraient ravir. Mais j’aurais garde de me laisser ainsi larronner de
secrets qui me sont plus chers que le trésor du roi, pour ce que je les tiens
de mon père, et mon père de son père, et ycelui de mon aïeul, pour ce que j’y
ai considérablement ajouté par l’inouïe diligence et labeur de ma vie, et pour
ce que, grâce aux dits secrets, je suis estimé et tenu, omnium consensu, en cette ville, en pays de Languedoc, à Paris, et dans le royaume entier, pour
le premier de mon art…
Quoi disant, qui fut dit d’une voix
éclatante, Maître Sanche élevait haut sa baguette, et tout hautain en soi, se
mirait en sa gloire, bombait le poitrail, redressait la crête, se paonnait à
l’infini, Samson s’émerveillant en sa colombine simplicité, mais moi-même en
mon for quelque peu rétif et rebiqué, combien que ma contenance parût douce et
ployable.
En mon rebiquement cependant, j’errais,
car si piaffard et vainglorieux que fût Maître Sanche, il est bien vrai que sa
réputation s’étendait jusqu’au Roi en son Louvre, comme Fogacer le jour même me
l’apprit. En 1564, deux ans auparavant, Catherine de Médicis et
Charles IX, s’arrêtant en Montpellier dans leur tour du royaume, n’avaient
pas manqué, en effet, d’aller visiter la fameuse apothicairerie et ses
curiosités, tant sont grandes la fiance et la
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