En Route
qu'est l'amulette de saint Benoît.
- Vous connaissez le sens de ces signes ?
- Oui, je l'ai lu autrefois dans une brochure de Dom Guéranger.
- Bon. Et, à propos, quand communiez-vous ?
- Demain.
- Demain, c'est impossible !
- Pourquoi est-ce impossible ?
- Mais parce que, demain, l'on ne célébrera qu'une seule messe, celle de cinq heures et que la règle empêche d'y communier isolément. Le père Benoît, qui en dit d'habitude une autre avant, est parti, ce matin, et il ne reviendra que dans deux jours. Il y a donc erreur.
- Enfin le prieur m'a positivement déclaré que je communierais demain ! s'écria Durtal. - Tous les pères ne sont donc pas prêtres, ici ?
- Non, en fait de prêtres, il y a l'abbé qui est malade, le prieur qui offrira, demain, le sacrifice à cinq heures, le père Benoît dont je vous ai parlé, un autre que vous n'avez pas vu et qui voyage. Au reste, si cela avait été possible, je me serais approché, moi aussi, de la Sainte Table.
- Alors, s'ils ne sont pas tous consacrés, quelle différence existe-t-il entre les pères qui n'ont pas obtenu le sacerdoce et les simples convers ?
- L'éducation. - Pour être père, il faut avoir fait ses études, savoir le latin, n'être pas, en un mot, ce que sont les frères lais, des paysans ou des ouvriers. - Dans tous les cas, je verrai le prieur et je vous rendrai, pour la communion de demain, réponse après l'office. Mais c'est ennuyeux ; il aurait fallu que vous pussiez vous mêler ce matin à nous !
Durtal eut un geste de regret. Il s'en fut à la chapelle, ruminant sur ce contre-temps, priant Dieu de ne pas retarder plus longtemps sa rentrée en grâce.
Après sexte, l'oblat vint le rejoindre. - C'est bien comme je pensais, fit-il, mais vous serez néanmoins admis à la consomption du sacrement - Le père prieur s'est entendu avec le vicaire qui dîne auprès de nous. Il dira, demain matin, avant son départ une messe et vous y communierez.
- Oh ! gémit Durtal.
Cette nouvelle lui crevait le coeur. être venu à la Trappe pour recevoir l'Eucharistie des mains d'un prêtre de passage, d'un prêtre jovial tel qu'était celui-là ! - ah ! Non, j'ai été confessé par un moine et je voudrais être communié par un moine ! Se cria-t-il. - Il vaudrait mieux attendre que le père Benoît fût rentré, - mais comment faire ? Je ne puis cependant exposer au prieur que ce soutanier inconnu me déplaît et qu'il me serait vraiment pénible, après avoir tant fait, de finir par être réconcilié, dans un cloître, ainsi !
Et il se plaignit à Dieu, lui dit que tout le bonheur qu'il pouvait avoir, d'être décanté, d'être enfin clair, était maintenant gâté par ce mécompte.
Il arriva au réfectoire, la tête basse.
Le vicaire était déjà là. Voyant la mine contrite de Durtal, il tenta charitablement de l'égayer, mais les plaisanteries qu'il essaya produisirent l'effet contraire. Pour être poli, Durtal souriait, mais d'un air si gêné, que M. Bruno, qui l'observait, détourna la conversation et accapara le prêtre.
Durtal avait hâte que le dîner prît fin. Il avait mangé son oeuf et il absorbait péniblement une purée de pommes de terre à l'huile chaude qui ressemblait à s'y méprendre, comme aspect, à de la vaseline ; mais la nourriture, il s'en souciait peu maintenant !
Il se disait : c'est terrible d'emporter d'une première communion un souvenir irritant, une impression pénible - et je me connais, ce sera pour moi une hantise. Parbleu, je sais bien qu'au point de vue théologique, il importe peu que j'aie affaire à un prêtre ou à un trappiste ; l'un et l'autre ne sont que des truchements entre Dieu et moi, mais enfin, je sens très bien aussi que ce n'est pas du tout la même chose. Pour une fois au moins, j'ai besoin d'une garantie, d'une certitude de sainteté et comment l'avoir avec un ecclésiastique qui colporte les plaisanteries d'un placier en vins ? - Il s'arrêta, songeant que l'abbé Gévresin l'avait précisément, par crainte de ces méfiances, envoyé dans une Trappe. - Quelle déveine ! se dit-il.
Il n'écoutait même point l'entretien qui se traînait, à côté de lui, entre le vicaire et l'oblat.
Il se battait, tout seul, en mâchant, le nez dans son assiette.
- Je n'ai pas envie de communier demain, reprit-il ; et il se révolta. Il était lâche et il devenait imbécile à la fin. Est-ce que le sauveur ne se donnerait pas à lui, quand même ?
Il sortit de table,
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