En Route
conclut-il, ces récidives sont ineptes ; le Christ a positivement déclaré qu'il ne fallait pas user de vaines redites dans les prières. Alors quel est le but de ce moulinet d'Ave ?
- Si je m'appesantis sur cet ordre d'idées, si j'ergote sur les injonctions du moine, je suis perdu, se dit-il, tout à coup ; et d'un effort de volonté il étouffa les révoltes qui grondaient en lui.
Il se réfugia dans sa cellule ; les heures s'allongeaient interminables ; il les tuait à se ressasser toujours les mêmes objections, toujours les mêmes réponses. Cela devenait un rabâchage dont il avait, lui-même, honte.
Ce qui est certain, c'est que je suis victime d'une aberration, reprit-il ; je ne parle pas de l'Eucharistie ; là, mes pensées peuvent n'être point justes, mais elles ne sont pas démentielles au moins, tandis que pour cette question des patenôtres !
Il s'ahurit si bien, à se sentir martelé tel qu'une enclume, entre ces deux hantises, qu'il finit par s'assoupir sur une chaise.
Il atteignit ainsi l'heure des vêpres et le souper. Après ce repas, il retourna dans le parc.
Et alors les litiges en léthargie se ranimèrent et tout revint. Ce fut une mêlée furieuse dans tout son être. Il restait là, immobile, s'écoutait, atterré, quand un pas rapide s'approcha et M. Bruno lui dit :
- Prenez garde, vous êtes sous le coup d'une attaque démoniaque !
Et comme Durtal, stupéfait, ne répondait pas.
- Oui, fit-il ; le bon Dieu m'accorde parfois des intuitions, et je suis certain, à l'heure qu'il est, que le diable vous travaille les côtes. Voyons, qu'avez-vous ?
- J'ai… que je n'y comprends rien moi-même ; et Durtal narra l'étonnante bataille qu'il se livrait depuis le matin, à propos du chapelet.
- Mais c'est fou, s'écria l'oblat ; c'est dix grains que le prieur vous a commandé de dire : dix chapelets sont impossibles à réciter !
- Je le sais… et cependant je doute encore.
- C'est toujours la même tactique, fit M. Bruno ; arriver à vous dégoûter de la chose qu'on doit pratiquer ; oui, le diable a voulu vous rendre le chapelet odieux, 8 en vous accablant. Puis qu'y a-t-il encore ? Vous n'avez pas envie de communier demain ?
- C'est vrai, répondit Durtal.
- Je m'en doutais, lorsque je vous observai pendant le repas. Ah ! Dame, après les conversions, le malin s'agite ; et ce n'est rien, il m'en a fait voir à moi de plus dures que cela, je vous prie de le croire.
Il glissa son bras sous celui de Durtal, le ramena à l'auditoire, le pria d'attendre et disparut.
Quelques minutes après, le prieur entrait.
- Eh bien ! dit-il, M. Bruno me raconte que vous souffrez. Qu' y a-t-il, au juste ?
- C'est si bête que j'ai honte de m'expliquer.
- Vous n'étonnerez jamais un moine, fit le prieur, en souriant.
- Eh bien ! Je sais pertinemment, je suis sûr que vous m'avez donné dix grains de chapelet à débiter, pendant un mois, chaque jour, et, depuis ce matin, je me dispute, contre toute évidence, contre tout bon sens pour me convaincre que c'est de dix chapelets quotidiens que se compose ma pénitence.
- Prêtez-moi votre chapelet, dit le moine, et regardez ces dix grains ; eh bien ! C'est tout ce que je vous avais prescrit et c'est tout ce que vous aurez à réciter. Alors, vous avez égrené dix chapelets entiers, aujourd'hui ?
Durtal fit signe que oui.
- Et, naturellement, vous vous êtes embrouillé, vous vous êtes impatienté et vous avez fini par battre la campagne.
Et voyant que Durtal souriait piteusement.
- Eh bien ! Entendez-moi, déclara le père, d'un ton énergique, je vous défends absolument, à l'avenir, de jamais recommencer une prière ; elle est mal dite, tant pis, passez, ne la répétez pas.
Je ne vous demande même point si l'idée de repousser la communion vous est venue, car cela va de soi ; c'est là où l'ennemi porte tous ses efforts. N' écoutez donc pas la voix diabolique qui vous la déconseille ; vous communierez demain, quoi qu'il arrive. Vous ne devez avoir aucun scrupule, car c'est moi qui vous enjoins de recevoir le sacrement ; d'ailleurs je prends tout sur moi.
Autre question maintenant, comment sont les nuits ?
Durtal lui relata l'abominable nuit de son arrivée à la Trappe et cette sensation d'être épié qui l'avait réveillé, la veille.
- Ce sont des manifestations que nous connaissons de longue date, elles sont sans danger imminent ; ne vous en inquiétez donc point. Toutefois, si elles
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