En Route
Jésus, de vivre l'au jour le jour des évangiles ; pour les chrétiens, elle a fait du temps le messager des douleurs et le héraut des joies ; elle a confié à l'année le rôle de servante du Nouveau Testament, d'émissaire zélée du culte.
Et Durtal réfléchissait à ce cycle de la liturgie qui débute au premier jour de l'an religieux, à l'Avent, puis tourne d'un mouvement insensible, sur lui-même, jusqu'à ce qu'il revienne à son point de départ, à cette époque où l'église se prépare, par la pénitence et la prière, à célébrer la Noël.
Et, feuilletant son eucologe, voyant ce cercle inouï d'offices, il pensait à ce prodigieux joyau, à cette couronne du roi Recceswinthe que le musée de Cluny recèle.
L'année liturgique n'était-elle pas, comme elle, pavée de cristaux et de cabochons par ses admirables cantiques, par ses ferventes hymnes, sertis dans l'or même des Saluts et des Vêpres ?
Il semblait que l'Eglise eût substitué à cette couronne d'épines dont les juifs avaient ceint les tempes du sauveur la couronne vraiment royale du propre du temps, la seule qui fût ciselée dans un métal assez précieux, avec un art assez pur, pour oser se poser sur le front d'un Dieu !
Et la grande Lapidaire avait commencé son oeuvre en incrustant, dans ce diadème d'offices, l'hymne de saint Ambroise, et l'invocation tirée de l'Ancien Testament, le Rorate coeli, ce chant mélancolique de l'attente et du regret, cette gemme fumeuse, violacée, dont l'eau s'éclaire alors qu'après chacune de ses strophes surgit la déprécation solennelle des patriarches appelant la présence tant espérée du Christ.
Et les quatre dimanches de l'Avent disparaissaient avec les pages tournées de l'eucologe ; la nuit de la nativité était venue : après le Jesu redemptor des Vêpres, le vieux chant portugais, l'Adeste fideles, s'élevait, au salut, de toutes les bouches. C'était une prose d'une naïveté vraiment charmante, une ancienne image où défilaient les pâtres et les rois, sur un air populaire approprié aux grandes marches, apte à 1 charmer, à aider, par le rythme en quelque sorte militaire des pas, les longues étapes des fidèles quittant leurs chaumières pour se rendre aux églises éloignées des bourgs.
Et, imperceptiblement, ainsi que l'année, en une invisible rotation, le cercle virait, s'arrêtait à la fête des saints Innocents où s'épanouissait, telle qu'une flore d'abattoir, en une gerbe cueillie sur un sol irrigué par le sang des agneaux, cette séquence rouge et sentant la rose qu'est le Salvete flores martyrum, de Prudence ; - la couronne bougeait et l'hymne de l'épiphanie, le Crudelis Herodes de Sedulius, paraissait à son tour.
Maintenant, les dimanches gravitaient, les dimanches violets où l'on n'entend plus le Gloria in excelsis, où l'on chante l'Audi Benigne de saint Ambroise et le Miserere, ce psaume couleur de cendre qui est peut-être le plus parfait chef-d'oeuvre de tristesse qu'ait puisé, dans ses répertoires de plains-chants, l'Eglise.
C'était le Carême, dont les améthystes s'éteignaient dans le gris mouillé des hydrophanes, dans le blanc embrumé des quartz et l'invocation magnifique l'Attende Domine montait sous les cintres. Issu, comme le Rorate coeli, des proses de l'Ancien Testament, ce chant humilié, contrit, énumérant les punitions méritées des fautes, devenait sinon moins douloureux, en tous cas plus grave encore et plus pressant, lorsqu'il confirmait, lorsqu'il résumait, dans la strophe initiale de son refrain, l'aveu déjà confessé des hontes.
Et, subitement, sur cette couronne éclatait, après les feux las des Carêmes, l'escarboucle en flamme de la passion. Sur la suie bouleversée d'un ciel, une croix rouge se dressait et des hourras majestueux et des cris éplorés acclamaient le fruit ensanglanté de l'arbre ; et le Vexilla regis se répétait encore, le dimanche suivant, à la férie des rameaux qui joignait à cette prose de Fortunat l'hymne verte qu'elle accompagnait d'un bruit soyeux de palmes, le Gloria, laus et honor de Théodulphe.
Puis les feux des pierreries grésillaient et mouraient. Aux braises des gemmes succédaient les charbons éteints des obsidiennes, des pierres noires, renflant à peine sur l'or terni, sans un reflet, de leurs montures ; l'on entrait dans la semaine sainte ; partout le Pange lingua gloriosi et le Stabat gémissaient sous les voûtes ; et c'étaient les ténèbres, les lamentations
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