En Route
est en dedans, dit l'oblat. Pourquoi les âmes élues seraient-elles écrouées dans des geôles charnelles différentes des autres ?
Cette conversation qui continuait, à bâtons rompus, sur la Trappe, finit par se fixer sur la mort dans les cloîtres et M. Bruno divulgua quelques détails.
- Quand la mort est proche, fit-il, le père abbé dessine sur la terre une croix de cendre bénite que l'on recouvre de paille et l'on y dépose, enveloppé dans un drap de serge, le moribond.
Les frères récitent auprès de lui les prières des agonisants et, au moment où il expire, on chante en choeur le répons : Subvenite Sancti Dei. le père abbé encense le cadavre qu'on lave tandis que les moines psalmodient l'office des trépassés dans une autre pièce.
On remet ensuite au défunt ses habits réguliers et, processionnellement, on le transfère dans l'église où il gît, sur un brancard, le visage découvert, jusqu'à l'heure désignée pour les funérailles.
Alors la communauté entonne, en s'acheminant vers le cimetière, non plus le chant des trépassés, les psaumes des douleurs et les proses des regrets, mais bien l'In exitu Israël de AEgypto, qui est le psaume de la délivrance, le chant libéré des joies.
Et le trappiste est enterré, sans cercueil, dans sa robe de bure, la tête couverte par son capuce.
Enfin, pendant trente jours, sa place reste vide au réfectoire ; sa portion est servie, comme de coutume, mais le frère portier la distribue aux pauvres.
Ah ! le bonheur de décéder ainsi, s'écria en terminant l'oblat, car, si l'on meurt, après avoir honnêtement rempli sa tâche, dans l'ordre, on est assuré de l'éternelle béatitude, selon les promesses faites par Notre-Seigneur à saint Benoît et à saint Bernard !
- La pluie cesse, dit Durtal ; j'ai envie de visiter aujourd'hui cette petite chapelle, au bout du parc, dont vous m'avez parlé, l'autre jour. Quel est le chemin le plus court pour l'accoster ?
M. Bruno lui établit son itinéraire et Durtal s'en fut, en roulant une cigarette, rejoindre le grand étang ; là, il bifurqua par un sentier, sur la gauche, et escalada une ruelle d'arbres.
Il glissait sur la terre détrempée, avançait avec peine. Il finit par atteindre cependant un bouquet de noyers qu'il contourna. Derrière eux, s'élevait une tour naine coiffée d'un minuscule dôme et percée d'une porte. à gauche et à droite de cette porte, sur des socles où des ornements de l'époque romane apparaissaient encore sous la croûte veloutée des mousses, deux anges de pierre étaient debout.
Ils appartenaient évidemment à l'école bourguignonne, avec leurs grosses têtes rondes, leurs cheveux ébouriffés et divisés en ondes, leurs faces joufflues au nez relevé, leurs solides draperies à tuyaux durs. Eux aussi provenaient des ruines du vieux cloître, mais ce qui était malheureusement bien moderne, c'était l'intérieur de cette chapelle si exiguë que les pieds touchaient presque le mur d'entrée lorsqu'on s'agenouillait devant l'autel.
Dans une niche enfumée par une gaze blanche, une vierge qui exhibait des yeux en plâtre bleu et deux pommes d'api à la place des joues, souriait en étendant les mains. Elle était d'une insignifiance vraiment gênante, mais son sanctuaire, qui gardait la tiédeur des pièces toujours closes, était intime. Les cloisons tapissées de lustrine rouge étaient époussetées, le plancher était balayé et les bénitiers pleins, de superbes roses-thé s'épanouissaient dans des pots, entre les candélabres. Durtal comprit alors pourquoi il avait si souvent aperçu M. Bruno se dirigeant, des fleurs à la main, de ce côté ; il devait orer dans ce lieu qu'il aimait sans doute parce qu'il était isolé dans la solitude profonde de cette Trappe.
Le brave homme ! Se cria Durtal, resongeant aux services affectueux, aux prévenances fraternelles que l'oblat avait eus pour lui. Et il ajouta : l'heureux homme aussi, car il se possède et vit si placide ici !
Et en effet, reprit-il, à quoi bon lutter si ce n'est contre soi-même ? s'agiter pour de l'argent, pour de la gloire, se démener afin d'opprimer les autres et d'être adulé par eux, quelle besogne vaine !
Seule, l'Eglise, en dressant les reposoirs de l'année liturgique, en forçant les saisons à suivre, pas à pas, la vie du Christ, a su nous tracer le plan des occupations nécessaires, des fins utiles. Elle nous a fourni le moyen de marcher toujours côte à côte avec
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