En Route
faire alors ?
L'on ne doit pas, dit-il, aspirer à ces communications surnaturelles et s'y arrêter et cela pour deux motifs : d'abord, parce qu'il y a humilité, abnégation parfaite à se refuser d'y croire ; ensuite, parce qu'en agissant de la sorte, on se délivre du travail nécessaire pour s'assurer si ces visions vocales sont vraies ou fausses ; on se dispense ainsi d'un examen qui n'a d'autre profit pour l'âme que perte de temps et inquiétudes.
Bien - mais si ces paroles sont réellement prononcées par Dieu, on se rebelle contre sa volonté, en demeurant sourd ! Et puis, ainsi que l'affirme sainte Térèse, il n'est pas en notre pouvoir de ne point les écouter et l'âme ne peut penser qu'à ce qu'elle entend, quand Jésus lui parle ! - D'ailleurs tous les raisonnements sur cette question vacillent, car l'on n'entre pas, de son plein gré, dans la voie étroite, comme l'appelle l'Eglise ; on y est mené, projeté, malgré soi souvent, et la résistance est impossible ; les phénomènes se succèdent et rien au monde n'est de force à les enrayer, exemple sainte Térèse qui, bien qu'elle se défendît par humilité, tombait en extase sous le souffle divin et s'enlevait du sol.
Non, ces états surhumains m'effraient et je ne tiens pas, par expérience, à les connaître. Quant à saint Jean de la Croix, l'abbé n'a pas tort de le déclarer unique, mais bien qu'il taraude les couches les plus profondes de l'âme et atteigne là où jamais la tarière humaine n'a pénétré, il me gêne quand même, dans mon admiration, car son oeuvre est pleine de cauchemars qui m' interdisent ; je ne suis pas bien certain avec cela que ses géhennes soient exactes ; enfin certaines de ses affirmations ne me convainquent pas. Ce qu'il appelle "la Nuit obscure" est incompréhensible ; les souffrances de cette ténèbre dépassent le possible, s'écrie-t-il, à chaque page. Ici, je perds pied. Je m' imagine bien, pour les avoir ressentis, des douleurs morales, atroces, des décès de parents ou d'amis, des amours déçues, des espoirs effondrés, des misères spirituelles de toute sorte, mais ce martyre-là qu'il déclare supérieur aux autres m' échappe, car il est hors de nos intérêts humains, hors de nos affections ; il se meut dans une sphère inaccessible, dans un monde inconnu et si loin de nous !
J'ai décidément peur qu'il n'y ait abus de métaphores et gongorisme d'homme du Midi, chez ce terrible Saint !
Au reste, voici encore un point où l'abbé m' étonne. Lui qui est si doux, témoigne d'un certain penchant pour le pain sec de la mystique : les effusions de Ruysbroeck, de sainte Angèle, de sainte Catherine de Gênes, le touchent moins que les raisonnements des saints ergoteurs et durs ; et pourtant, à côté de ceux-là, il m'a recommandé la lecture de Marie d'Agréda qu'il ne devrait pas choyer, car elle n'a aucune des qualités que, dans les oeuvres de sainte Térèse et de saint Jean de la Croix, l'on aime.
Ah ! il peut se flatter de m'avoir infligé une incomparable désillusion, en me prêtant sa Cité mystique!
Sur le renom de cette Espagnole, je m'attendais à des souffles prophétiques, à de formidables empans, à d'extraordinaires visions et pas du tout, c'est simplement bizarre et pompeux, pénible et froid. Puis la phraséologie de son livre est insoutenable. Toutes ces expressions dont ces tomes énormes fourmillent : "ma divine Princesse", "ma grande Reine", "ma grande Dame", alors qu'elle s'adresse à la Vierge qui la traite à son tour de "ma très chère" ; cette façon qu'a le Christ de l'appeler "mon épouse", ma "bien-aimée", de la citer continuellement comme "l'objet de ses complaisances et de ses délices" ; cette manière qu'elle adopte de nommer les anges "les courtisans du grand Roi", m'agacent et me lassent.
Ca sent les perruques et les jabots, les révérences et les ronds de jambes, ça se passe à Versailles, c'est une mystique de cour dans laquelle le Christ pontifie, affublé du costume de Louis XIV.
Sans compter, reprit-il, que Marie d'Agréda se répand en de bien extravagants détails. Elle nous entretient du lait de la Vierge qui ne pouvait tourner, des misères féminines dont elle fut exempte ; elle explique le mystère de la conception par trois gouttes de sang qui jaillirent du coeur de Marie dans sa matrice où le Saint-esprit s'en servit pour former l'enfant ; elle déclare enfin que saint Michel, que saint Gabriel remplirent les
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