En Route
par échouer, pour dissiper son navrement, dans le monastère voisin situé au fond de l'impasse de Saxe, dans une allée de banlieue, pleine de réduits qui précèdent des jardins où des serpents en cailloux de rivière se déroulent autour de pastilles d'herbes.
C'était là que résidaient les pauvres clarisses humiliées de l'Ave Maria, un ordre encore plus rigide que celui des carmélites, mais plus indigent, moins comme il faut, plus humble.
On pénétrait dans ce cloître par une petite porte poussée contre ; l'on montait, sans rencontrer personne, jusqu'au deuxième étage et l'on découvrait une chapelle dont les fenêtres laissaient voir des arbres qui se balançaient dans des pépiements de moineaux fous.
C'était encore une sépulture ; mais ce n'était plus, comme en face, la tombe, au fond d'un caveau noir ; c'était plutôt un cimetière avec des nids chantant, au soleil, dans des branches ; l'on se serait cru, à plus de vingt lieues de Paris, à la campagne.
Le décor de cette claire chapelle essayait pourtant d'être sombre ; il ressemblait à celui de ces boutiques de marchands de vins dont les cloisons simulent des murs de caves, avec de chimériques pierres peintes dans les raies imitées d'un faux ciment. Seulement, la hauteur de la nef sauvait l'enfantillage de cette imposture, relevait la vulgarité de ce trompe-l'oeil.
Au fond, se dressait au-dessus d'un parquet ciré à glace un autel, flanqué, de chaque côté, d'une grille de fer voilée de noir. Ainsi que le prescrit saint François, tous les ornements, le crucifix, les chandeliers, le tabernacle, étaient en bois ; il n'y avait aucun objet de métal exposé, aucune fleur ; le seul luxe de cette chapelle consistait en des vitraux modernes dont l'un représentait saint François d'Assise et l'autre sainte Claire.
Durtal jugeait ce sanctuaire aéré et charmant, mais il n'y séjournait que quelques minutes, car ce n'était point ainsi que dans le Carmel un isolement absolu, une paix noire ; là, toujours, deux ou trois clarisses trottinaient dans la chapelle, le regardaient en rangeant les chaises, semblaient étonnées par sa présence.
Elles le gênaient et il avait peur, lui aussi, de les gêner, si bien qu'il se retirait, mais cette courte halte suffisait pour effacer ou tout au moins pour amoindrir la funèbre impression du couvent voisin.
Et Durtal s'en revenait, à la fois très apaisé et très inquiet ; très apaisé au point de vue lubrique, très inquiet sur le parti qu'il devait prendre.
Il sentait monter, grandir, de plus en plus, en lui, ce souhait d'en finir avec ces litiges et avec ces transes et il pâlissait dès qu'il songeait à renverser sa vie, à renoncer à jamais aux femmes.
Mais s'il avait encore des hésitations et des craintes, il n'avait déjà plus la ferme intention de résister ; il acceptait en principe maintenant l'idée d'un changement d'existence, seulement il tâchait de retarder le jour, de reculer l'heure, il tentait de gagner du temps.
Puis, de même que les gens qui s'exaspèrent dans l'attente, il désirait, certains autres jours, ne plus différer l'inévitable instant et il se criait : que ça se termine ! Tout plutôt que de rester ainsi !
Et, ce souhait ne paraissant pas s'exaucer, il se décourageait aussitôt, voulait ne plus songer à rien, regrettait le temps passé, déplorait de se sentir charrié par un courant pareil !
Et quand il se ranimait un peu, il essayait encore de s'ausculter. Au fond, je ne sais plus du tout où j'en suis, se disait-il ; ce flux et reflux de voeux différents m'effarent ; mais comment en suis-je venu là et qu'est-ce que j'ai ? Ce qu'il ressentait, depuis que sa chair le laissait plus lucide, était si insensible, si indéfinissable, si continu pourtant, qu'il devait renoncer à comprendre. En somme, chaque fois qu'il voulait descendre en lui-même, un rideau de brume se levait qui masquait la marche invisible et silencieuse d'il ne savait quoi. La seule impression qu'il rapportait, en remontant, c'est que c'est bien moins lui qui s'avançait dans l'inconnu, que cet inconnu qui l'envahissait, le pénétrait, s'emparait peu à peu de lui.
Quand il entretenait l'abbé de cet état tout à la fois lâche et résigné, implorant et craintif, le prêtre se bornait à sourire.
- Terrez-vous dans la prière et baissez le dos, lui dit-il un jour.
- Mais je suis las de tendre l'échine, en piétinant toujours sur la même place,
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