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Enfance

Enfance

Titel: Enfance Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nathalie Sarraute
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guère de différence…  
    —  Et cette ressemblance m’apportait une certitude, une sécurité… Mais je dois avouer que mes textes étaient pour moi plus délectables.
    En relisant une dernière fois « Mon premier chagrin »… j’en connaissais par cœur des passages… je l’ai trouvé parfait, tout lisse et net et rond…
    —  Tu avais besoin de cette netteté, de cette rondeur lisse, il te fallait que rien ne dépasse…  
    —  J’aimais ce qui était fixe, cernable, immuable… C’est cela qui m’a plus tard charmée dans la géométrie plane, dans la chimie inorganique, dans les premiers éléments de physique… le théorème d’Archimède, la machine d’Atwood… aucun risque de voir quoi que ce soit se mettre à fluctuer, devenir instable, incertain… j’ai perdu pied dès que j’ai dû quitter ces régions où je me sentais en parfaite sécurité et aborder celles mouvantes, inquiétantes de la géométrie dans l’espace, de la chimie organique… « Mon premier chagrin » est arrondi et fixe à souhait, pas la moindre aspérité, aucun mouvement brusque, déroutant… rien qu’un balancement léger et régulier, un doux chantonnement…
    Vraiment ce devoir mérite que je le montre à mon père. Il aime regarder mes devoirs. Surtout mes devoirs de français.
    Il faut que nous soyons seuls, il est tacitement entendu que Véra ne doit pas être présente. Comme il est convenu entre nous, sans qu’un mot ait été dit, qu’elle ne doit jamais être là quand je fais signer à mon père mon carnet de notes.
    Bien sûr, la croix que la maîtresse épingle sur mon tablier et que je porte toute la semaine, il est impossible d’éviter qu’elle la voie et que ne se soulèvent en elle comme des vaguelettes de mécontentement, d’hostilité.
    Quand j’entre dans le cabinet de travail de mon père avec ma copie à la main, il abandonne aussitôt ce qu’il est en train de faire et se met à m’écouter… et moi, en lui lisant, je retrouve les joies de la récitation, encore accrues… y a-t-il un texte dont mes intonations fassent mieux jouer toutes les nuances ?
    Mon père est toujours réservé, il ne se répand pas en compliments, mais je n’en ai pas besoin, je sais à son air, à la façon dont il m’écoute qu’il me dira que c’est très bien. Sans plus. Mais cela me suffit. Pas une seconde entre nous il ne s’agit d’une appréciation d’un autre ordre que celle qu’il ferait sur n’importe lequel de mes devoirs. Jamais n’est même de loin suggérée, jamais ne vient nous frôler l’idée de « dons d’écrivain »… rien n’est aussi éloigné…
    —  En es-tu sûre ?  
    — Absolument. Je n’ai fait qu’un très bon devoir. Je ne me suis rien permis, je n’en ai d’ailleurs aucune envie, je ne cherche jamais à dépasser les limites qui me sont assignées, pour aller vagabonder Dieu sait où, là où je n’ai rien à faire, chercher je ne sais quoi… ou plutôt ce que mon père déteste par-dessus tout, ce qu’il n’évoque qu’en plissant d’un air méprisant ses lèvres, ses paupières, et qu’il appelle « la gloriole »… certes non, je ne la cherche pas. L’idée ne me vient jamais de devenir un écrivain. Parfois il m’arrive de me demander si je ne pourrais pas être une actrice… mais pour ça il faut être belle comme Véra Koren ou comme Robine. Non, ce que j’aimerais, c’est d’être institutrice.  
    Le jour où la maîtresse nous rend nos devoirs, j’attends avec le pressentiment, mais c’est plutôt une certitude, que la liste commencera par mon nom. La note inscrite sur la copie a moins d’importance… elle sera probablement un 8 ou un 9… Mais il faut absolument pour que soit confirmée ma réussite que le devoir soit en tête de la liste !…  
    — Il ne t’est jamais venu à l’esprit qu’il serait le premier de trente devoirs assez médiocres et que par conséquent cette sélection…  
    — Non, jamais. Le numéro un marque pour moi un absolu. Quelque chose à quoi rien n’est supérieur. Peu importe où. J’ai l’illusion que c’est hors comparaison. Il n’est pas possible que ce que j’ai fait vienne après ce qu’a fait quelqu’un d’autre.  
    — Ta rage contre toi-même… c’était au lycée Fénelon… quand pour la première fois Monsieur Georgin, en rendant les versions latines, t’a dit : « Mais que s’est-il passé ? Vous êtes… » était-ce troisième ou

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