Enterre Mon Coeur à Wounded Knee: Une Histoire Américaine, 1860-1890
répliqua en pendant trois de ses otages, le frère et les deux neveux de Cochise.
C’est à ce moment-là que les Chiricahuas reportèrent la haine qu’ils avaient ressentie pour les Espagnols sur les Américains. Pendant un quart de siècle, ils allaient mener aux côtés d’autres bandes apaches une guérilla intermittente qui coûterait à leurs ennemis plus de vies et d’argent que n’importe quelle autre guerre indienne.
À l’époque, le grand chef de guerre des Apaches était Mangas Coloradas, Manches Rouges, un Mimbreño de soixante-dix ans encore plus imposant par sa taille que Cochise. Il comptait des partisans dans un grand nombre de bandes du sud-est de l’Arizona et du sud-ouest du Nouveau-Mexique. Cochise avait épousé sa fille, et après l’affaire Bascom, les deux hommes joignirent leurs forces pour chasser les Américains de leur terre. Ils attaquèrent des convois de chariots, empêchèrent les diligences et le courrier de circuler et, des Chiricahua Mountains jusqu’aux Mogollons, forcèrent plusieurs centaines de mineurs blancs à quitter leur territoire. Quand commença la guerre de Sécession, Mangas et Cochise parvinrent à chasser les Tuniques Grises au terme de plusieurs accrochages.
Enfin, en 1862, Chef-Étoiles Carleton arriva à la tête de plusieurs milliers de Tuniques Bleues par la vieille piste qui traversait le cœur du pays chiricahua. Par compagnies isolées, les troupes commencèrent à passer le col d’Apache Pass, au-delà duquel elles s’arrêtèrent pour prendre de l’eau à une source située près du relais de diligences abandonné. Le 15 juillet, à la Lune-du-cheval, Mangas et Cochise déployèrent leurs cinq cents guerriers le long des hauteurs surplombant le col et la source. Trois compagnies de fantassins accompagnées de cavaliers et de deux chariots approchaient par l’ouest. Les Apaches lancèrent brusquement l’attaque au moment où la colonne s’étirait pour franchir le col. Après quelques échanges de coups de feu, les Tuniques Bleues battirent rapidement en retraite.
Sachant pertinemment que les troupes reviendraient, les Apaches ne les poursuivirent pas. Et en effet, après avoir reformé les rangs, les fantassins tentèrent de nouveau le passage du col, cette fois avec les deux chariots juste derrière eux. Ils parvinrent à quelques centaines de mètres de la source, mais l’endroit ne leur offrait aucun abri contre les Apaches qui, postés sur les hauteurs, les encerclaient. Ils parvinrent néanmoins à conserver leur position. Soudain, les chariots se mirent à cracher de grandes langues de feu. Des nuages de fumée noire s’élevèrent, un grondement de tonnerre retentit sur les rochers alentour et des morceaux de métal percèrent l’air dans un sifflement. Les Apaches avaient déjà entendu les petits canons des Espagnols, mais jamais quelque chose d’aussi terrifiant que ces canons-chariots cracheurs de feu qui semaient la mort. Ils battirent en retraite, et les Tuniques Bleues prirent possession des eaux limpides de la source.
Mangas et Cochise n’étaient cependant pas prêts à abandonner la lutte. En attirant des petits groupes de soldats à l’écart des chariots, ils avaient encore une chance de les battre. Le lendemain matin, ils virent un peloton de cavaliers repartir vers l’ouest, certainement pour avertir leurs camarades qui approchaient. Mangas prit avec lui cinquante cavaliers et fondit sur les Tuniques Bleues pour leur couper la route. Il s’ensuivit une escarmouche au cours de laquelle Mangas fut blessé à la poitrine. Il perdit connaissance et tomba de cheval. Les guerriers, atterrés, cessèrent les combats et remontèrent sur les crêtes en emportant son corps ensanglanté.
Cochise tenait plus que tout à sauver la vie du vieux chef. Au lieu de s’en remettre aux hommes-médecine, à leurs chants et à leurs rituels, il plaça son beau-père dans une élingue et fit plus de cent cinquante kilomètres à cheval en direction du sud avec une escorte de guerriers, jusqu’au village de Janos, au Mexique. Là, vivait un chirurgien mexicain de grand renom auquel on présenta le malheureux Mangas Coloradas en lui disant, sous forme d’ultimatum : Guéris-le. S’il meurt, ce village mourra aussi.
Quelques mois plus tard, Mangas, coiffé d’un chapeau de paille à larges bords, vêtu d’un poncho, de jambières de cuir et chaussé de sandales chinoises achetées au Mexique, refit son apparition dans les
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