Enterre Mon Coeur à Wounded Knee: Une Histoire Américaine, 1860-1890
l’intention de restaurer son prestige au sein de l’institution militaire en exécutant ses ordres au pied de la lettre et avec la plus grande diligence. En privé, il confia à des proches que « prendre cette vallée à Joseph et à sa bande de Nez-Percés était une grande erreur ». Ce qui ne l’empêcha pas en mai 1877 de convoquer Joseph à un conseil dont le but était de fixer la date de cession des terres de la tribu.
Joseph choisit, pour l’accompagner à Lapwai, White Bird, Looking Glass, son frère Ollokot et le prophète de Wallowa, Toohoolhoolzote, un homme grand, au cou de taureau, très laid, capable de réfuter n’importe quel argument avec grande éloquence, « un évadé de l’enfer », pour reprendre les termes d’un Blanc. Lors de la première réunion du conseil, qui se tenait dans un bâtiment juste en face de la prison de Fort Lapwai, Joseph présenta Toohoolhoolzote comme le porte-parole des Nez-Percés de la Wallowa.
« Une partie des Nez-Percés ont cédé leur terre, dit alors le prophète. Pas nous. Cette terre fait partie de notre corps, et nous ne l’avons jamais cédée.
— Tu sais très bien que le gouvernement a prévu une réserve et que les Indiens doivent aller y vivre, déclara Howard.
— Qui donc prétend avoir divisé la terre et nous mettre là-bas ? voulut savoir Toohoolhoolzote.
— C’est moi. Je représente le Grand Père, répondit Howard, qui commençait à s’énerver. Mes ordres sont fort clairs et ils seront exécutés. »
Le prophète continua à poser des questions agaçantes pour Chef-Soldat-Manchot, par exemple comment la terre pouvait appartenir aux Blancs alors qu’elle avait été transmise aux Nez-Percés par leurs ancêtres. « Nous sommes venus de la terre, et nos corps doivent retourner à la terre notre mère, dit-il.
— Je ne veux pas critiquer ta religion, répondit Howard avec irritation, mais parle de choses concrètes, je te prie. Ces histoires, je les ai entendues vingt fois déjà – la terre est votre mère et votre titre de chef, vous le tenez d’elle. Je ne veux plus entendre ce genre de choses. Allons au fait.
— Qui a le droit de me dire ce que je dois faire dans mon propre pays ? » rétorqua Toohoolhoolzote.
L’affrontement verbal se poursuivit jusqu’au moment où Howard sentit qu’il devait faire la démonstration de sa puissance. Il ordonna alors l’arrestation du prophète, puis informa sèchement Joseph que les Nez-Percés disposaient de trente jours pour quitter la Wallowa et aller s’installer sur la réserve.
« Mon peuple a toujours été l’ami des Blancs, déclara Joseph. Pourquoi es-tu si pressé ? Je ne peux pas préparer un tel déplacement en trente jours. Nos troupeaux sont éparpillés, et les eaux de la Snake River sont très hautes. Autorise-nous à attendre l’automne, quand la rivière sera basse.
— Si tu dépasses le délai qui t’est accordé ne serait-ce que d’un jour, répondit Howard d’un ton dur, les soldats viendront pour vous conduire à la réserve, et toutes vos bêtes qui se trouveraient en liberté à ce moment-là reviendront aux Blancs. »
Joseph comprit qu’il n’avait pas le choix. Avec moins de cent guerriers, il était impossible de défendre la vallée. Quand il rentra au campement avec ses lieutenants, les soldats étaient déjà là. Les Indiens décidèrent en conseil de rassembler immédiatement leurs troupeaux pour partir à Lapwai. « Les Blancs étaient nombreux et nous ne faisions pas le poids face à eux. Nous étions tels des daims, et eux tels des grizzlis. Nous avions un petit territoire. Le leur était vaste. Nous nous contentions de laisser les choses telles que le Grand Esprit les avait faites. Eux ne s’en satisfaisaient pas, et s’ils l’avaient pu, ils auraient changé les rivières et les montagnes qui ne leur convenaient pas. »
Avant même d’entamer leur longue marche, certains guerriers suggérèrent de se battre plutôt que d’être chassés comme des chiens de la terre où ils étaient nés. Toohoolhoolzote, qui avait été libéré, déclara que seul le sang laverait la honte que Chef-Soldat-Manchot lui avait fait subir. Malgré tout, Joseph continua de prôner la paix.
Pour respecter l’ultimatum d’Howard, les Indiens durent abandonner une grande partie de leur bétail dans la vallée. Quand ils arrivèrent sur les bords de la Snake, la rivière tumultueuse était gonflée des neiges fondues des
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