Enterre Mon Coeur à Wounded Knee: Une Histoire Américaine, 1860-1890
plupart des troupeaux et des champs de céréales entre Fort Canby et le canyon de Chelly. Le 17 octobre, deux Navajos portant un drapeau blanc – dont El Sordo, émissaire de ses frères Delgadido et Barboncito et des cinq cents Indiens qui étaient avec eux – s’approchèrent de Fort Wingate. Les Navajos avaient perdu leurs réserves de nourriture, expliqua El Sordo, et en étaient réduits à manger des pignons. Ils n’avaient presque plus de vêtements et de couvertures, et craignaient tellement de se faire repérer par les éclaireurs des soldats qu’ils n’osaient pas faire de feu pour se réchauffer. Ils ne souhaitaient pas partir à Bosque Redondo – c’était trop loin – mais proposaient d’installer leur campement près de Fort Wingate, sous la surveillance constante des soldats qui verraient bien qu’ils étaient des Indiens pacifiques. Neuf jours plus tard, Delgadido et Barboncito viendraient avec leur bande. Les chefs étaient prêts à se rendre à Santa Fé pour voir Chef-Étoiles et solliciter la paix.
Le capitaine Rafael Chacon, commandant de Fort Wingate, fit parvenir cette offre de compromis au général Carleton, lequel répondit : « Les Navajos n’ont pas le choix ; soit ils vont à Bosque Redondo, soit ils restent chez eux, et alors c’est la guerre. »
N’ayant en effet pas le choix, avec en outre à sa charge des femmes et des enfants souffrant de faim et de froid, Delgadido se rendit. Barboncito, El Sordo et une grande partie des guerriers se retirèrent dans les montagnes pour observer de loin ce qui allait advenir de leur peuple.
Ceux qui s’étaient rendus furent envoyés à Bosque Redondo, mais Carleton s’arrangea pour que les premiers captifs aient un traitement de faveur – les meilleures rations, les meilleurs abris – aussi bien sur le chemin qu’une fois arrivés sur la réserve. Malgré l’aspect inhospitalier de cette plaine stérile du Pecos, Delgadido fut impressionné par l’amabilité de ses gardiens. Chef-Étoiles l’informa qu’il pourrait retourner à Fort Wingate avec sa famille s’il persuadait les autres chefs navajos qu’il valait mieux vivre à Bosque Redondo qu’endurer la faim et le froid. Delgadido accepta l’offre. Au même moment, Carleton ordonnait à Kit Carson d’envahir le canyon de Chelly, de détruire les récoltes et le bétail des Indiens, et de tuer ou capturer les Navajos réfugiés dans ce dernier bastion.
En préparation de la campagne à venir, Carson fit rassembler des bêtes de somme pour porter les provisions. Le 13 décembre, Barboncito et ses guerriers fondirent sur le troupeau et firent fuir les mules en direction du canyon de Chelly, comptant les utiliser comme réserve de viande pour l’hiver. Carson envoya deux détachements de soldats aux trousses des Navajos, mais ceux-ci se divisèrent en plusieurs petits groupes, s’échappèrent et disparurent à la faveur d’une grosse tempête de neige. Le lieutenant Donaciano Montoya et ses cavaliers tombèrent sur un petit camp et l’attaquèrent, obligeant les Indiens à se réfugier dans un bosquet de cèdres. Ils finirent par capturer treize femmes et enfants. « Un Indien qui avait reçu une balle dans le flanc droit, raconta le lieutenant dans son rapport, parvint malgré tout à s’enfuir dans les broussailles enchevêtrées. Son fils, un garçon de dix ans très intelligent pour un Indien, fut capturé peu après. Son père, nous dit-il, était mort au milieu des rochers d’un arroyo tout proche. »
Privé de mules pour le bât, Kit Carson informa le général Carleton que l’opération contre le canyon de Chelly devait être remise à plus tard. La réponse du colonel ne se fit pas attendre : « Il est hors de question que vous retardiez l’expédition pour un simple problème de transport. Que vos hommes portent leurs couvertures et, si nécessaire, des rations pour trois ou quatre jours dans des havresacs . »
Le 6 janvier 1864, une petite colonne de soldats menée par le capitaine Albert Pfeiffer sortit de Fort Canby, avec pour mission de pénétrer le canyon de Chelly par l’extrémité est. Kit Carson devait arriver par le côté ouest, à la tête d’une force armée plus importante. Sa progression fut lente, une couche de quinze centimètres de neige recouvrant le sol et la température étant descendue en dessous de zéro.
Pfeiffer entra dans le canyon une semaine après son départ. Depuis des rochers en surplomb, des
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