Enterre Mon Coeur à Wounded Knee: Une Histoire Américaine, 1860-1890
vieillards, quitta Fort Canby. L’armée ne leur avait fourni que vingt-six chariots. « Au cours de la deuxième journée de marche, raconta le commandant du convoi dans son rapport, une très grosse tempête de neige se leva. Elle dura quatre jours et fut exceptionnellement violente. Les Indiens souffrirent beaucoup, la plupart d’entre eux étant pratiquement nus et bien sûr incapables de supporter de telles intempéries. » Lorsqu’ils atteignirent Los Pinos, au sud d’Albuquerque, l’armée réquisitionna les chariots pour un autre usage, et les Indiens durent bivouaquer. Quand enfin la marche reprit, plusieurs de leurs enfants avaient disparu. Pourtant, comme l’avait indiqué un lieutenant, « [l]es officiers responsables des Indiens à cet endroit-ci devront exercer la plus grande vigilance, afin d’éviter que les enfants des Navajos soient volés pour être vendus ». Le contingent arriva à Bosque le 11 mai 1864. « J’ai quitté Fort Canby, rapporta le commandant, avec huit cents Indiens, auxquels se sont ajoutés cent quarante-six sur la route de Fort Sumner, ce qui faisait un total de neuf cent quarante-six. Environ cent dix ont péri. »
Vers la fin du mois d’avril, l’un des derniers chefs à résister encore, Armijo, se présenta à Fort Canby pour informer le commandant du poste, le capitaine Asa Carey, que Manuelito arriverait d’ici peu avec des Navajos qui avaient passé l’hiver un peu plus au nord, le long de la Little Colorado River et de la San Juan River. Quelques jours plus tard, ce fut la bande d’Armijo, composée de quatre cents Indiens, qui fit son entrée dans le fort. Quant à Manuelito, il arrêta son peuple à quelques kilomètres de là, à un endroit qui s’appelait Quelitas, et chargea un messager d’annoncer au chef des soldats qu’il souhaitait un entretien avec lui. Au cours des pourparlers qui suivirent, le chef navajo déclara que son peuple désirait rester près du fort, y planter ses céréales et y faire paître ses troupeaux ainsi qu’il l’avait toujours fait. « Il n’y a qu’un seul endroit pour vous, répliqua le capitaine Carey, et c’est Bosque Redondo. » « Pourquoi faut-il absolument que nous allions à Bosque ? demanda Manuelito. Nous n’avons jamais volé ni tué. Nous avons toujours respecté la promesse de paix faite au général Canby. » Ses guerriers, ajouta-t-il, craignaient que les soldats ne souhaitent les rassembler à Bosque pour pouvoir les abattre comme ils l’avaient fait à Fort Fauntleroy en 1861. Carey eut beau lui assurer que ce n’était pas le cas, Manuelito déclara qu’il ne se rendrait pas avant d’avoir parlé avec son vieil ami Herrero Grande, ou avec les autres chefs navajos qui avaient vu Bosque Redondo.
Voulant saisir cette chance d’obtenir la reddition de Manuelito, le général Carleton fit venir de Bosque quatre Navajos soigneusement choisis (Herrero Grande ne figurait pas parmi eux) afin d’utiliser leur influence sur le chef de guerre récalcitrant. Mais ils ne purent convaincre Manuelito. Par une nuit du mois de juin, celui-ci quitta Quelitas avec sa bande et alla se cacher dans la vallée de la Little Colorado.
En septembre, il apprit que son vieil allié Barboncito avait été capturé dans le canyon de Chelly. Lui, Manuelito, était désormais le dernier des chefs ricos à résister. Les soldats n’auraient de cesse de le trouver.
Au cours de l’automne, on vit revenir en terre navajo certains de ceux qui s’étaient échappés de Bosque Redondo. Les récits qu’ils firent des souffrances de leur peuple sur la réserve avaient de quoi faire frémir. La terre était misérable. Les soldats faisaient avancer les Indiens à la pointe de la baïonnette et les parquaient dans des enclos de murs en pisé. Les officiers passaient leur temps à les compter et à inscrire des chiffres dans des carnets. Ils leur avaient promis des vêtements et une nourriture meilleure, sans jamais tenir parole. Les peupliers de Virginie et les mesquites (8) de la réserve avaient été coupés, si bien que pour faire du feu il ne restait que des racines. Pour se protéger de la pluie et du soleil, les Indiens devaient creuser des trous dans le sol sableux et les recouvrir de nattes d’herbes tressées. Ils vivaient tels des chiens de prairie dans leurs terriers. Avec quelques outils fournis par les soldats, ils avaient labouré le sol des plaines alluviales de la Pecos River et planté des
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