Enterre Mon Coeur à Wounded Knee: Une Histoire Américaine, 1860-1890

fort. Dull Knife était du nombre, accompagné de sa femme et du fils qu’il lui restait, de sa belle-fille et de son petit-fils, ainsi que d’un garçon qui s’appelait Red Bird.
    Les Tuniques Bleues traquèrent les trente-deux fugitifs pendant plusieurs jours, avant de les piéger près de Hat Creek Bluffs, dans un étang bourbeux et profond. Les soldats chargèrent jusqu’aux abords de l’étang, tirèrent dans l’eau, rechargèrent leurs carabines et recommencèrent l’opération jusqu’à ce que les Indiens ne puissent plus faire feu sur eux. Il n’y avait plus que neuf survivants, pour la plupart des femmes et des enfants.
    Fin janvier, Dull Knife et ses compagnons, qui avaient voyagé uniquement de nuit, arrivèrent à Pine Ridge, plus au nord. Là, ils furent parqués sur la réserve de Red Cloud.
    Quant à Little Wolf et son groupe, ils passèrent l’hiver dans des cavités creusées dans les berges gelées du Lost Chokecherry Creek, l’un des affluents de la Niobrara River. À la Lune-des-yeux-douloureux, le temps se réchauffant légèrement, ils firent route vers le nord et la vallée de la Tongue. Au bord du Box Elder Creek, ils rencontrèrent Two Moon et cinq autres Cheyennes du Nord qui travaillaient comme éclaireurs pour les Tuniques Bleues de Fort Keogh.
    Two Moon raconta à Little Wolf que Clark était à sa recherche et voulait tenir un conseil avec lui. Le chef cheyenne répondit qu’il serait ravi de retrouver son vieil ami Chapeau-Blanc. Les deux hommes se rencontrèrent à environ huit cents mètres du campement cheyenne. Le lieutenant Clark se désarma afin de montrer qu’il était sûr de leurs liens d’amitié. Il expliqua qu’il avait ordre d’amener les Cheyennes à Fort Keogh, où certains de leurs parents étaient venus faire leur reddition et s’étaient installés, et ajouta qu’en échange de la paix, les Indiens devraient renoncer à leurs chevaux et à leurs armes. Ils pourraient garder les premiers jusqu’à leur arrivée à Fort Keogh, mais devaient remettre tout de suite fusils et pistolets.
    « Depuis la dernière fois où je t’ai vu à l’agence de Red Cloud, répondit Little Wolf, nous sommes allés dans le Sud, où nous avons beaucoup souffert. (…) Mon frère Dull Knife a pris la moitié de notre bande et a fait sa reddition près de Fort Robinson. Il pensait que tu y étais encore et que tu chercherais à le voir. Ils ont rendu les armes, et alors les Blancs les ont tous tués. Tant que je suis dans la prairie, j’ai besoin de mes armes. Lorsque j’arriverai à Keogh, je te les donnerai, ainsi que les chevaux, mais pas maintenant. Tu es le seul qui a souhaité discuter avant de te battre, et on dirait bien que le vent, qui fait palpiter nos cœurs depuis si longtemps, est en train de se calmer. »
    Bien sûr, Little Wolf finit par remettre ses armes, mais il ne s’y résolut qu’une fois convaincu que Chapeau-Blanc ne laisserait pas les soldats massacrer son peuple. Les Indiens allèrent à Fort Keogh, où la plupart des jeunes braves s’enrôlèrent comme éclaireurs. « Pendant longtemps, nous n’avons pas fait grand-chose, à part nous entraîner aux manœuvres et couper du bois, racontera Wooden Leg par la suite. J’ai appris à boire du whisky à Fort Keogh. (…) J’ai dépensé presque toute ma paye dans l’alcool. » L’ennui et le désespoir poussèrent les Cheyennes à boire. Ainsi s’enrichirent les marchands blancs. Ainsi furent détruits les derniers chefs de la tribu, parmi lesquels Little Wolf.
    Au bout de plusieurs mois de retard à cause de la bureaucratie de Washington, les veuves, les enfants et les derniers guerriers qui se trouvaient à Fort Robinson furent transférés à l’agence de Red Cloud à Pine Ridge, où ils retrouvèrent Dull Knife. Enfin, après une longue attente de plusieurs mois, une réserve dans la vallée de la Tongue fut attribuée aux Cheyennes de Fort Keogh, que Dull Knife et le reste de la tribu furent autorisés à rejoindre.
    Pour la plupart des Cheyennes, c’était trop tard. Ils n’avaient plus de forces. Depuis le massacre de Sand Creek, la mort avait rôdé autour du « Beau Peuple ». Ce qui restait de la tribu s’était envolé dans le vent. « Nous irons dans le Nord, quels que soient les risques, avait déclaré un jeune guerrier, et si nous mourons au combat, nos frères se souviendront tous de nos noms et les chériront. » Mais il ne resterait bientôt plus personne pour