Enterre Mon Coeur à Wounded Knee: Une Histoire Américaine, 1860-1890
toujours rentrer à pied si vous voulez.
— Mon cœur est triste, ai-je dit, parce que je ne connais pas ce pays. » Nous étions persuadés que nous allions mourir. J’avais envie de pleurer, mais je me suis souvenu que j’étais un homme. Après, le Blanc, qui était de mauvaise humeur, est monté à l’étage. Alors, nous autres chefs avons réfléchi à ce qu’il fallait faire. Nous avons dit : « Il n’a pas du tout l’intention de nous emmener voir le Grand Père ou de nous ramener chez nous. Ce n’est certainement pas ce que le Grand Père a voulu. » Nous avions un interprète avec nous.
« Puisqu’il ne veut pas nous ramener, avons-nous dit, qu’il nous donne un papier pour montrer aux Blancs, puisque nous ne connaissons pas le pays. » L’interprète est allé transmettre notre demande au Blanc, et il est redescendu en disant : « Il refuse de vous donner le papier. Il ne veut pas vous le faire. » Toujours par l’intermédiaire de l’interprète, nous avons réclamé l’argent que le Grand Père nous devait afin de pouvoir rentrer chez nous. Mais le Blanc a refusé de nous donner cet argent.
L’inspecteur Kemble quitta le Territoire Indien, abandonnant sur place les chefs ponças, dont White Eagle, Standing Bear, Big Elk. Les Indiens prirent alors le chemin du retour. C’était la Lune-où-les-canards-reviennent-se-cacher, et la neige recouvrait les plaines du Kansas et du Nebraska. Comme ils n’avaient que très peu d’argent, les Indiens parcoururent les huit cents kilomètres qui les séparaient de chez eux à pied, avec chacun une simple couverture et une seule paire de mocassins. Sans leurs vieux amis les Otoes et les Omahas, qui leur offrirent de la nourriture et leur permirent de se reposer un temps sur leur réserve, la plupart des vieux chefs n’auraient pas survécu à ce périple hivernal.
Lorsqu’ils atteignirent la Niobrara quarante jours plus tard, l’inspecteur Kemble les y avait précédés.
Reprenons le récit de White Eagle :
« Préparez-vous à partir », a fait Kemble.
Nous ne voulions pas. J’ai dit : « Je suis épuisé. Aucun de nous n’a envie de partir.
— Peu m’importe, a-t-il répondu. Le Grand Père veut que vous quittiez cet endroit au plus vite. Vous devez aller vivre sur le Territoire Indien. »
Les chefs étaient bien décidés à obliger le gouvernement à respecter ses engagements. Kemble retourna alors à Washington pour faire son rapport au commissaire aux Affaires indiennes. Ce dernier transmit le dossier au Secrétaire à l’Intérieur, Schurz, lequel expliqua le problème à Sherman. Le général conseilla l’usage des troupes pour forcer les Poncas à s’en aller et, comme d’habitude, Gros-Yeux Schurz abonda dans son sens.
En avril, Kemble retourna dans la vallée de la Niobrara. Brandissant la menace d’une intervention des troupes, il réussit à persuader cent soixante-dix membres de la tribu de partir avec lui dans le Territoire Indien. Mais aucun des grands chefs n’accepta de le suivre. Standing Bear protesta de manière si véhémente qu’il fut arrêté et emmené à Fort Randall. « Ils m’ont ligoté et emmené au fort », raconta-t-il par la suite. Quelques jours plus tard, le gouvernement chargea un nouvel agent, E. A. Howard, de s’occuper du reste de la tribu, et Standing Bear fut relâché.
White Eagle, Standing Bear et les autres chefs répétèrent que le gouvernement n’avait pas le droit de les chasser de leurs terres. Howard répliqua qu’il n’avait rien à voir avec la décision du gouvernement, et qu’il était simplement chargé de les accompagner jusqu’à leur nouveau territoire. Le 15 avril, au terme d’un conseil qui avait duré quatre heures, le nouvel agent exigea des Indiens une réponse définitive : « Préférez-vous partir de votre plein gré ou y être contraint par la force ? »
Les chefs gardèrent le silence. C’est alors qu’un jeune Ponça déboula. « Les soldats sont au village ! » annonça-t-il. Les chefs comprirent alors qu’il n’y aurait plus de conseil. Ils allaient devoir quitter leur pays pour le Territoire Indien. « Les soldats ont débarqué avec leurs fusils et leurs baïonnettes, raconte Standing Bear. Ils nous ont mis en joue. Nos femmes et nos enfants pleuraient. »
Le départ eut lieu le 21 mai 1877. « Les soldats sont arrivés à l’entrée du village, devait expliquer White Eagle plus tard, et nous ont fait
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