Enterre Mon Coeur à Wounded Knee: Une Histoire Américaine, 1860-1890
Lorsque les Blancs avides de terres tentèrent de le forcer à adopter une position défensive, il réagit avec subtilité en faisant connaître le point de vue des Utes aux journalistes. « La signature qu’un Indien appose en bas d’un traité avec les États-Unis, expliqua-t-il, est comparable à l’accord que le bison passe avec ses chasseurs alors même que son flanc est percé de flèches. La seule chose qu’il puisse faire, c’est se coucher et abandonner la lutte. »
Les Blancs eurent beau lui montrer de belles cartes aux couleurs vives et recourir à une phraséologie mielleuse pour établir les frontières, ils ne parvinrent pas à le berner. Au lieu de se contenter d’un petit bout du Colorado occidental, il réclama huit millions d’hectares de forêts et de prairies sur les pentes occidentales des Rocheuses, beaucoup moins que ce que son peuple possédait auparavant, mais bien plus que ce que les autorités du Colorado comptaient lui laisser. Était prévu l’établissement de deux agences, l’une à Los Pinos pour les Uncompahgres et d’autres bandes du Sud, et la seconde au bord de la White River pour les bandes du Nord. Ouray exigea également que soient incluses dans le nouveau traité un certain nombre de clauses protégeant les Utes, c’est-à-dire empêchant les chercheurs d’or et les colons de pénétrer sur leur réserve. Ainsi, le traité stipulait qu’aucun Blanc non autorisé « ne pourrait traverser, coloniser ou habiter » le territoire attribué à la tribu.
Malgré ces clauses restrictives, les prospecteurs continuèrent à grignoter les terres utes. Parmi eux, figurait un certain Frederick W. Pitkin, un Yankee de Nouvelle-Angleterre qui s’était aventuré dans les San Juan Mountains, où il avait rapidement amassé une petite fortune grâce à sa mine d’argent. En 1872, Pitkin devint une figure de premier plan dans la défense des intérêts des riches propriétaires de mines qui voulaient que la région de San Juan – un quart de la réserve ute – soit rattachée au Territoire du Colorado. Le Bureau des Affaires indiennes s’inclina devant ces revendications et dépêcha une commission spéciale dirigée par Felix R. Brunot pour négocier avec les Utes la cession de ces terres.
La commission rencontra Ouray et les représentants des sept bandes en septembre 1873 à l’agence de Los Pinos. Brunot expliqua qu’il était chargé par le Grand Père d’aborder avec eux la question de la cession d’une partie de leur réserve. Il assura les chefs que lui-même ne convoitait pas ces terres, qu’il n’était pas venu leur dire ce qu’ils devaient faire, mais entendre leur opinion sur la question. « Parfois, il vaut bien mieux faire ce qui ne nous plaît pas aujourd’hui, conseilla-t-il, si nous pensons que cela sera la meilleure solution pour nos enfants. »
Les chefs se déclarèrent curieux de savoir comment la cession de leurs terres pourrait bénéficier à leurs enfants. Brunot leur expliqua que le gouvernement mettrait de côté une importante somme d’argent pour les Utes, et que tous les ans, la tribu percevrait des intérêts en dédommagement des terres cédées.
« Je n’aime pas cette histoire d’intérêts, déclara Ouray. Je préférerais que l’argent soit déposé dans une banque. » Il se plaignit alors de ce que le gouvernement n’avait pas chassé les Blancs trouvés sur la réserve ute, comme le traité l’y engageait.
Brunot répondit sans détour que si le gouvernement tentait de chasser les prospecteurs, cela déclencherait une guerre, auquel cas les Utes perdraient leurs terres sans rien recevoir en échange.
« La meilleure chose à faire, dit-il, si vous pouvez vous passer de ces montagnes, c’est de les vendre et de percevoir pour cela quelque chose tous les ans.
— Les prospecteurs se moquent bien de ce que veut le gouvernement, convint Ouray, et ils ne respectent pas les lois. Ils disent qu’ils n’en ont rien à faire du gouvernement. Il est tout là-bas dans l’Est, et l’homme qui vient négocier le traité retournera dans l’Est, et alors eux feront ce qu’ils voudront.
— Supposons que vous vendiez les montagnes, poursuivit Brunot, et qu’on n’y trouve pas d’or, alors vous seriez gagnants. Les Utes recevraient de l’argent, et les Américains n’iraient pas s’y installer. Mais si on y découvre des filons, alors les problèmes ne feront que commencer. Il nous sera impossible
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