Enterre Mon Coeur à Wounded Knee: Une Histoire Américaine, 1860-1890
apprirent la tournure inattendue prise par les événements, la plupart se préparèrent à rejoindre leurs frères dans le Nebraska. Mais le Bureau des Affaires indiennes ne l’entendait pas de cette oreille. Ses agents informèrent les chefs que seul le Grand Conseil de Washington pouvait décider de la possibilité, et de la date, d’un tel retour. Les bureaucrates et les responsables politiques (le cartel indien) comprirent que la décision du juge Dundy représentait une menace sérieuse pour le système des réserves. Elle ébranlait la position de cette petite armée d’entrepreneurs qui s’enrichissaient en écoulant de la nourriture de piètre qualité, des couvertures miteuses et du mauvais whisky aux milliers d’indiens parqués sur les réserves. Si on laissait les Poncas quitter le Territoire Indien et aller où bon leur semblait comme des citoyens américains libres, cela établirait un précédent susceptible de démolir tout un complexe militaro-politique construit autour des réserves.
Dans son rapport annuel, Schurz reconnut que les Poncas du Territoire Indien « avaient de sérieux sujets de plaintes », tout en s’opposant fermement à leur retour parce que cela éveillerait chez les autres Indiens « le désir irrépressible de suivre leur exemple » et par conséquent entraînerait la destruction du système des réserves.
Dans le même temps, William H. Whiteman, directeur de la fort lucrative agence ponca, tenta de discréditer Standing Bear et les siens en les présentant dans ses rapports comme des « membres renégats de la tribu », tout en détaillant en termes élogieux les dépenses considérables qu’il avait engagées pour acheter du matériel et des outils afin d’œuvrer au développement du Territoire Indien. Par contre, il passa sous silence le mécontentement des Poncas, leurs demandes répétées de rentrer chez eux, et ses propres différents avec Big Snake.
Big Snake, un géant avec des mains comme des battoirs et des épaules aussi larges que celles d’un bison, était le frère de Standing Bear. Comme souvent les hommes imposants, il avait des manières douces et paisibles – les Poncas le surnommaient l’Homme de Paix. Mais quand il vit que White Eagle et les autres chefs se laissaient intimider par Whiteman, il décida d’agir tout seul. Après tout, n’était-il pas le frère de Standing Bear, le Ponca qui avait obtenu la liberté des siens ?
Décidé à mettre la nouvelle loi à l’épreuve, Big Snake demanda l’autorisation de quitter la réserve pour aller rejoindre son frère dans le Nord. Comme il s’y attendait, il se heurta au refus de l’agent Whiteman. La deuxième initiative qu’il prit fut, non pas de quitter le Territoire Indien, mais de se rendre à quelques centaines de kilomètres de là sur la réserve cheyenne. Lui et les trente autres Poncas qui l’accompagnaient comptaient simplement vérifier la réalité de la nouvelle loi stipulant qu’un Indien était une personne et ne pouvait pas être confiné contre son gré sur une réserve.
Whiteman réagit comme tout bureaucrate confortablement établi qui sent son autorité menacée. Le 21 mai 1879, il télégraphia au commissaire aux Affaires indiennes pour l’informer de la fuite de Big Snake et de ses compagnons vers la réserve cheyenne et demander leur arrestation et leur détention à Fort Reno « jusqu’à ce que la tribu se soit remise des effets démoralisants de la décision récemment rendue par la cour fédérale du Nebraska dans l’affaire Standing Bear. »
Gros-Yeux Schurz donna son accord pour l’arrestation des Indiens. Mais, craignant de toute évidence que sa décision soit à nouveau contestée par une cour de justice, il demanda à Sherman de ramener Big Snake et ses « renégats » sur la réserve ponca aussi rapidement, et discrètement, que possible.
Le 22 mai, Sherman, brutal comme à son accoutumée, télégraphia au général Sheridan en ces termes : « L’honorable Secrétaire à l’Intérieur veut que les Poncas arrêtés et détenus à Fort Reno, sur le Territoire Indien, (…) soient expédiés à l’agence ponca. Donnez des ordres à cet effet. » Comme s’il prévoyait les réticences de Sheridan à bafouer la décision récemment rendue par le juge Dundy, Sherman ajouta : « La libération, en vertu de l’ habeas corpus, des Poncas du Nebraska ne vaut que pour ce cas précis . » On le voit, Sherman éprouvait moins de
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