Enterre Mon Coeur à Wounded Knee: Une Histoire Américaine, 1860-1890
d’arrêter. Shadrach Price s’exécuta et alla rapporter les faits à Meeker. Ce dernier le renvoya terminer son travail. Cette fois-ci, les Utes tirèrent quelques coups de semonce juste au-dessus de la tête de Price, qui détela ses chevaux et se sauva sans demander son reste.
Meeker, furieux, adressa une lettre indignée au commissaire aux Affaires indiennes. « Nous avons affaire à de mauvais Indiens, écrivait-il. Nous leur donnons des rations gratuites, nous les flattons et les bichonnons depuis si longtemps qu’ils se croient tout permis. »
L’après-midi, Canalla (Johnson), l’homme-médecine, vint trouver Meeker à l’agence et lui dit que le terrain labouré lui avait été attribué afin qu’il y fasse paître ses chevaux. Maintenant que les travaux avaient cessé, il ne voulait pas qu’ils reprennent.
Meeker interrompit le discours enflammé de Johnson. « Le problème, Johnson, le voici : vous avez trop de chevaux. Vous feriez mieux d’en tuer quelques-uns. »
Interloqué, Johnson dévisagea Meeker. Alors, il s’approcha brusquement de l’agent, l’attrapa par les épaules, le fit sortir de la pièce et le poussa contre la balustrade du porche. Puis il partit sans un mot.
Voici l’incident tel que Johnson devait le raconter plus tard : « J’ai dit à l’agent qu’il n’était pas juste de sa part d’ordonner à ses hommes de labourer mon terrain. Il a répondu que j’avais toujours posé des problèmes, et que je risquais bien de me retrouver en taule. J’ai dit que je ne voyais pas pourquoi j’irais en prison, qu’il vaudrait mieux qu’un autre agent vienne, un homme bon qui ne proférerait pas de telles menaces. Puis j’ai pris l’agent par l’épaule et lui ai conseillé de partir. Sans rien lui faire d’autre – sans le frapper, ni rien d’autre – je l’ai simplement pris par l’épaule. Je ne me suis pas fâché contre lui. Ensuite, je suis rentré chez moi. »
Avant de décider quoi que ce soit, Meeker convoqua Jack dans son bureau. Le chef ute évoqua plus tard leur entretien en ces termes : « Meeker m’a annoncé que Johnson l’avait maltraité. Je lui ai répondu que ce n’était rien, que c’était une affaire sans importance qu’il ferait mieux de laisser tomber. Il a dit que cela ne changeait rien, qu’il y attachait de l’importance et qu’il allait se plaindre. Je lui ai répété que ce serait vraiment dommage de faire toute une histoire pour si peu. Il a répondu qu’il n’appréciait pas un tel traitement de la part d’un jeune homme, qu’il était vieux et n’avait pas la force de répliquer, qu’il était un vieil homme, que Johnson l’avait maltraité et qu’il ne lui dirait plus rien, qu’il allait demander au commissaire d’envoyer des soldats et qu’il chasserait les Utes de leurs terres. Alors, je lui ai dit que ce ne serait vraiment pas bien d’agir ainsi. Il a répondu que de toute façon la terre n’appartenait pas aux Utes, ce à quoi j’ai répliqué que si, et que c’était pour cette raison précise que le gouvernement avait établi les agences ici, parce que c’était le territoire des Utes. J’ai répété que l’incident entre Johnson et lui était négligeable, qu’il ferait mieux de laisser tomber et de ne pas en faire toute une histoire. »
Meeker passa la journée et la nuit suivantes à ressasser la détérioration de ses relations avec les Utes. Enfin, il décida de leur donner une bonne leçon. Il envoya deux télégrammes, l’un au gouverneur Pitkin pour lui demander la protection de l’armée, l’autre au commissaire aux Affaires indiennes.
J’ai été agressé par un chef, Johnson, chassé de chez moi et grièvement blessé. Il s’avère à présent que Johnson est à l’origine de tous les problèmes que nous avons. (…) C’est son fils qui a tiré sur l’homme qui labourait le champ. Beaucoup ne veulent pas que nous labourions. Arrêt des travaux de labourage. Menaces contre ma propre vie, celle de ma famille, de mes employés. Protection immédiate réclamée. Ai demandé au gouverneur Pitkin de s’entretenir avec le général Pope.
Au cours de la semaine qui suivit, les lourdes machines des Départements de l’Intérieur et de la Guerre se mirent lentement en branle. Le 15 septembre, Meeker fut informé que des unités de cavalerie avaient reçu l’ordre de se diriger vers la White River. L’agent fut autorisé à arrêter les « meneurs responsables des
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