Enterre Mon Coeur à Wounded Knee: Une Histoire Américaine, 1860-1890
suite, je suis allé à leur rencontre avec un autre Indien. » Le lieutenant Cherry mit pied à terre et s’avança vers les Utes. Il fit quelques pas, puis agita son chapeau. Un coup de feu fracassa le silence. « Alors que nous étions encore à bonne distance les uns des autres, dit Jack, quelqu’un a tiré. Je ne sais de quel camp est parti le coup, mais tout de suite après des tirs nourris ont éclaté, si bien que j’ai compris qu’il me serait impossible de faire cesser les combats. J’ai quand même fait des signes à mes hommes avec mon chapeau en criant : “Ne tirez pas, nous voulons parler, c’est tout”, mais ils ont cru que je les encourageais à se battre. »
Pendant que les combats s’intensifiaient et gagnaient le convoi de chariots, disposés en cercle défensif, Douglas, qui se trouvait à l’agence, était mis au courant de la situation. Il alla immédiatement trouver « Nick » Meeker dans son bureau et lui dit que les soldats avaient pénétré sur la réserve. Il ne faisait aucun doute pour lui que les guerriers utes les combattraient. Il n’y aurait aucun problème, répliqua Meeker, avant de demander à Douglas de venir avec lui voir les soldats le lendemain matin.
En début d’après-midi, les Utes avaient tous appris que les soldats combattaient leurs frères au bord de la Milk River. Munis de leurs fusils, une dizaine d’entre eux se rendirent à l’agence. Là, ils tirèrent sur tous les ouvriers blancs qu’ils trouvèrent autour des bâtiments. Lorsque la nuit tomba, Nathan Meeker était mort, ainsi que tous ses employés blancs. Quant aux trois femmes, les Indiens les avaient capturées, avant de se réfugier avec elles dans un ancien campement ute au bord du Piceance Creek, en les violant sur le chemin.
Les combats durèrent presque une semaine. Les deux cents soldats se retrouvèrent pratiquement encerclés par trois cents guerriers. Thornburgh tomba lors des premiers engagements. En tout, il y eut douze morts et quarante-trois blessés parmi les Tuniques bleues, et trente-sept morts côté indiens. Pour les Utes, il s’agissait d’une lutte désespérée pour empêcher l’invasion militaire de leur réserve et leur propre transfert en tant que prisonniers vers le Territoire Indien.
Ouray, qui se trouvait à l’agence de Los Pinos, à deux cent cinquante kilomètres au sud, fut atterré lorsqu’il apprit les événements. Seule une réaction immédiate de sa part pourrait sauver sa position de chef et l’ensemble de la réserve ute. Le 2 octobre, il envoya le message suivant :
Aux chefs et aux Utes de l’agence de la White River :
Il vous est par la présente demandé et ordonné de cesser toutes hostilités contre les Blancs, de ne blesser personne, si ce n’est pour protéger votre propre vie et vos biens contre les entreprises illégales et non autorisées des voleurs de chevaux et des desperados, toute autre action ne pouvant qu’avoir des conséquences désastreuses pour toutes les parties concernées.
Le message d’Ouray ainsi que l’arrivée de renforts de la cavalerie américaine mirent un terme aux hostilités. Il était cependant trop tard pour sauver les Utes du désastre. Depuis quelque temps déjà, le gouverneur Pitkin et William Vickers répandaient d’un bout à l’autre du Colorado des histoires d’atrocités mettant généralement en cause les Uncompahgres de Los Pinos, qui pour la plupart vaquaient innocemment à leurs occupations sans rien savoir de ce qui se passait à White River. Vickers incita les citoyens blancs du Colorado à se soulever et à « exterminer les diables rouges », encourageant ainsi l’organisation précipitée de milices dans plusieurs villes et petits bourgs de l’État. Les journalistes vinrent en si grand nombre de l’Est pour couvrir cette prometteuse nouvelle « guerre indienne » que Pitkin décida de faire une déclaration spéciale à leur intention :
« Je pense qu’une fois cette affaire terminée, les déprédations qui ravagent le Colorado cesseront. Il sera impossible pour les Indiens et les Blancs de vivre en paix à partir de là. L’agression que nous subissons est purement gratuite et les Blancs comprennent à présent qu’ils peuvent être attaqués n’importe où dans l’État dès que les Indiens se trouvent en nombre suffisant.
« Mon avis est que, à moins d’être déplacés par le gouvernement, ils devront être exterminés. Je suis en mesure de rassembler
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