Enterre Mon Coeur à Wounded Knee: Une Histoire Américaine, 1860-1890
l’armée achèterait cash le surplus de maïs et de légumes produits par les Indiens, et ceux-ci se gouverneraient eux-mêmes, rétabliraient leur propre police et auraient leurs propres tribunaux, comme au temps de John Clum. Crook s’engagea à ce qu’aucun soldat n’entre dans la réserve, sauf au cas où les Apaches ne parviendraient pas à en assurer l’ordre eux-mêmes.
Les Indiens accueillirent ces propositions avec scepticisme. Ils n’avaient pas oublié la brutalité de Crook à l’époque où Loup-Gris, comme ils l’appelaient, traquait Cochise et les Chiricahuas. Mais ils ne tardèrent pas à se rendre compte qu’il était sincère. Les rations devinrent plus généreuses, les agents et les négociants cessèrent de les voler, les soldats qui les brutalisaient partirent, et Loup-Gris les encouragea à augmenter leur bétail et à chercher des endroits plus propices à la culture du maïs et des haricots. Ils étaient de nouveau libres, tant qu’ils restaient sur la réserve.
Mais ils ne pouvaient oublier leurs frères qui, eux, étaient réellement libres au Mexique. De temps en temps, des jeunes gens s’échappaient pour traverser la frontière et revenaient plus tard avec des récits exaltants d’aventures et de moments de bonheur.
Crook pensait également beaucoup aux Chiricahuas et aux Apaches de Warm Springs qui se trouvaient au Mexique. Il se doutait bien que d’ici peu, ils recommenceraient leurs raids de ce côté-ci de la frontière, et qu’il devait se préparer à les affronter. Le gouvernement des États-Unis avait récemment signé un accord avec le gouvernement mexicain permettant aux soldats des deux pays de traverser la frontière lorsqu’ils pourchassaient des Apaches hostiles. Crook espérait que cet accord lui permettrait d’empêcher la population civile de l’Arizona et du Nouveau-Mexique de le pousser à la guerre.
« On voit trop souvent, dit-il, des journaux des régions frontalières (…) colporter toutes sortes de mensonges à propos des Indiens, mensonges reproduits ailleurs dans le pays par des journaux de bonne réputation et de grande circulation, alors que la version indienne des faits est rarement proposée. C’est ainsi que la population se fait des idées fausses sur la question. Lorsque des incidents éclatent, le public se focalise sur les Indiens, seuls leurs crimes et les atrocités qu’ils commettent sont condamnés, tandis que ceux qui, en les traitant de manière injuste, les ont poussés à ces extrémités s’en tirent à bon compte et sont les premiers à les dénoncer. Ces choses-là, personne ne les sait mieux que l’Indien, dont on comprend alors parfaitement qu’il ne perçoit aucune justice chez un gouvernement qui le punit lui seul, alors qu’il permet au Blanc de piller ses biens à loisir. »
L’idée de faire face à une nouvelle guérilla apache inspirait à Crook la plus profonde aversion. Il savait qu’il lui serait pratiquement impossible d’en venir à bout dans les contrées sauvages où les affrontements auraient lieu. « Malgré les enjeux, nous ne pouvons pas nous permettre des combats, reconnut-il avec franchise. En tant que nation nous ne sommes que trop responsables de la situation actuelle. Par conséquent, nous devons les persuader qu’ils seront à l’avenir traités avec justice et protégés des invasions des Blancs. »
Crook était certain de pouvoir convaincre Géronimo et les autres chefs de la guérilla de ses bonnes intentions – ceci, non pas en les combattant, mais en parlant avec eux. Pour cela, le meilleur endroit serait l’un de leurs refuges mexicains, loin de ces Blancs sans scrupules qui appelaient à la guerre contre les Indiens, loin de ces journaux qui faisaient circuler des rumeurs afin de provoquer un conflit qui permettrait de juteux profits et la conquête de nouvelles terres.
Tout en attendant un raid indien sur la frontière qui lui fournirait un prétexte pour entrer au Mexique, Crook constitua discrètement sa « force expéditionnaire ». Celle-ci se composait d’une cinquantaine de soldats et d’interprètes civils soigneusement sélectionnés, ainsi que d’environ deux cents jeunes Apaches de la réserve, dont un bon nombre avait participé à des raids au Mexique. Début 1883, Crook posta une partie de ses troupes près des voies de la Southern Pacific Railroad, qui traversait l’Arizona jusqu’à environ quatre-vingts kilomètres de la frontière. Le
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