Enterre Mon Coeur à Wounded Knee: Une Histoire Américaine, 1860-1890
nous voulait, mais comme ils avaient l’air aimable, nous en avons conclu que les soldats comptaient tenir un conseil. Nous avons pris nos chevaux et sommes allés à la rencontre des officiers. Dès notre arrivée en ville, des soldats nous ont barré la route, désarmés et emmenés tous les deux au quartier général où nous sommes passés en cour martiale. On nous a posé très peu de questions. Alors, Victorio a été relâché et j’ai été condamné à rester en prison. Des éclaireurs m’ont amené à la prison et enchaîné. Quand je leur ai demandé pourquoi, ils ont répondu que c’était parce que j’avais quitté Apache Pass.
« Je n’ai jamais appartenu à ces soldats d’Apache Pass, pas plus que je n’étais dans l’obligation de leur demander où j’avais le droit d’aller. (…) On m’a gardé prisonnier quatre mois, au cours desquels j’ai été transféré à San Carlos. Là-bas, j’ai eu droit à un autre procès, je crois, mais je n’y étais pas. En fait, je n’en suis pas sûr, mais c’est ce que l’on m’a dit. Et de toute façon, j’ai été relâché. »
Même si Victorio ne fut pas arrêté, il se retrouva transféré avec la plupart des Apaches de Warm Springs à San Carlos au printemps 1877. Clum tenta de gagner sa confiance en lui accordant plus de pouvoirs qu’il n’en avait eus à Ojo Caliente. Pendant quelques semaines, on aurait pu croire que des communautés apaches paisibles allaient se développer sur la réserve de White Mountain. C’est alors qu’une compagnie de soldats vint s’installer à Fort Thomas, sur la Gila River. L’armée présenta la manœuvre comme une précaution rendue nécessaire par la concentration à San Carlos de « presque tous les Indiens les plus réfractaires du Territoire ».
Furieux, Clum envoya un télégraphe au commissaire aux Affaires indiennes pour réclamer le droit d’équiper une compagnie supplémentaire de policiers apaches afin de remplacer les soldats, et le retrait de ces derniers. Les journaux de Washington, mis au courant de son audace, publièrent ses exigences, provoquant ainsi la colère du Département de la Guerre. Dans l’Arizona et le Nouveau-Mexique, des entrepreneurs civils en contrat avec l’armée, craignant le départ des soldats et la perte d’un commerce fort juteux, condamnèrent le « toupet et l’arrogance » de ce parvenu de vingt-six ans qui prétendait faire tout seul ce que plusieurs milliers de soldats n’étaient pas parvenus à accomplir depuis que les guerres apaches avaient commencé.
L’armée resta à San Carlos, et John Clum démissionna. Aussi simpático fût-il, il n’avait jamais appris à penser comme un Apache, à se glisser dans la peau d’un Apache, à l’instar de Tom Jeffords. Il n’arrivait pas à comprendre les chefs qui s’entêtaient à résister jusqu’au bout. Il ne parvenait pas à voir en eux des figures héroïques qui préféraient la mort à la perte de leur héritage. À ses yeux, Géronimo, Victorio, Nana, Loco, Naiche et les autres guerriers n’étaient que des brigands, des voleurs, des meurtriers et des ivrognes – trop réactionnaires pour adopter les us de l’homme blanc. Ainsi, il quitta les Apaches et alla s’installer à Tombstone, dans l’Arizona, où il fonda un journal militant, l’ Epitaph.
L’été 1877 n’était pas terminé que la situation à San Carlos était devenue chaotique. Alors que le nombre d’indiens avait augmenté de plusieurs centaines, les vivres nécessaires tardaient à arriver. Comme si les choses n’étaient pas assez difficiles comme cela, le nouvel agent, au lieu d’aller distribuer les rations dans les différents campements indiens, exigeait que toutes les bandes se présentent à l’agence principale. Certains des Apaches devaient ainsi parcourir plus de trente kilomètres à pied. Les vieillards et les enfants incapables de faire le trajet ne recevaient aucune ration. Ajoutons à cela que les prospecteurs grignotaient la partie nord-est de la réserve et refusaient de partir. Le système autonome établi par Clum commençait à chanceler.
La nuit du 2 septembre, Victorio quitta la réserve à la tête de sa bande et prit le chemin d’Ojo Caliente. Les policiers apaches se lancèrent à sa poursuite, récupérèrent une grande partie des chevaux et des mules que les Indiens avaient pris dans les enclos de White Mountain, tout en laissant filer Victorio et les siens. Après plusieurs
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