Enterre Mon Coeur à Wounded Knee: Une Histoire Américaine, 1860-1890
s’il identifiait les Santees qui avaient participé aux attaques, Godfrey se transforma en informateur coopératif, et les procès se succédèrent tranquillement, avec parfois jusqu’à quarante peines capitales ou emprisonnements prononcés en une seule journée. Les derniers procès eurent lieu le 5 novembre ; trois cent trois Santees avaient été condamnés à mort et seize à de lourdes peines de prison.
Supprimer la vie d’un aussi grand nombre de personnes, fussent-elles des « diables ayant pris forme humaine », était une responsabilité trop lourde pour que Sibley l’endosse seul. Il se soulagea d’une partie de ce fardeau sur les épaules du commandant du département militaire du Territoire du Nord-Ouest, le général John Pope. Celui-ci décida à son tour de confier la décision finale au président des États-Unis, Abraham Lincoln. « Les prisonniers sioux seront exécutés, sauf si le président l’interdit, annonça le général Pope au gouverneur Ramsey, ce que, j’en suis certain, il ne fera pas. »
Or Abraham Lincoln, homme de conscience, demanda à voir « l’intégralité des minutes des jugements ; si ces minutes n’indiquaient pas clairement lesquels des condamnés étaient les plus coupables et les plus influents, qu’on me fasse parvenir un document précis portant sur ces points ». Lorsqu’il les reçut, il confia à deux avocats la tâche d’examiner les minutes afin de distinguer les meurtriers de ceux qui n’avaient fait que participer aux combats.
Le fait que Lincoln refuse de donner son aval à la pendaison immédiate des trois cent trois Santees condamnés provoqua la colère de Pope et de Ramsey. Le général déclara que « les criminels condamnés devraient être exécutés immédiatement et sans exception (…). Par souci d’humanité, cette affaire doit être réglée au plus vite. » Ramsey exigea pour sa part que le président l’autorise à procéder rapidement à l’exécution des trois cent trois condamnés, évoquant le risque que les habitants du Minnesota se vengent à titre personnel sur les prisonniers si Lincoln tardait à agir.
Pendant que le président se penchait sur les minutes des procès, Sibley déplaça les Indiens condamnés en vue de les installer dans un camp à South Bend, au bord de la Minnesota River. L’escorte traversait New Ulm quand une foule déchaînée comptant de nombreuses femmes et résolue à se faire justice attaqua les prisonniers, qui à la fourche, qui en leur lançant de l’eau bouillante ou des pierres. Le temps que les soldats parviennent à les faire sortir de la ville, quinze Santees furent blessés, dont l’un eut la mâchoire fracturée. Ajoutons à cela que la nuit du 4 décembre, la prison du camp fut assaillie par des colons bien décidés à lyncher les Indiens. Les soldats réussirent à maintenir la foule à distance, et le lendemain, les prisonniers furent transférés dans un fort offrant plus de sécurité près de la ville de Mankato.
Entre-temps, Sibley avait décidé de ne pas libérer les mille sept cents Santees – surtout des femmes et des enfants – restés à Camp Release, même si leur seul crime était d’être nés indiens. Il ordonna leur transfert à Fort Snelling. Sur le chemin, le groupe fut lui aussi attaqué par des Blancs furieux. De nombreux Santees furent lapidés ou matraqués ; un enfant arraché aux bras de sa mère fut battu à mort. Arrivée à Fort Snelling, la procession qui s’étirait sur six kilomètres se retrouva parquée dans un espace clôturé, sur des terres alluviales gorgées d’eau. Là, surveillés par des soldats, logés dans des abris délabrés, forcés de se contenter de maigres rations, les derniers représentants de ce peuple fier – les Sioux des forêts – attendirent leur sort.
Le 6 décembre, Lincoln informa Sibley qu’il pouvait « faire exécuter » trente-neuf des trois cent trois Santees condamnés, ajoutant : « Quant aux autres prisonniers, vous attendrez de nouveaux ordres à leur sujet, et vous assurerez qu’ils ne peuvent pas s’échapper, et qu’ils ne font pas l’objet de violences illégales. »
Les exécutions étaient prévues pour le vingt-sixième jour du mois de décembre, la Lune-où-les-cerfs-perdent-leurs-bois. Le matin, une foule vindicative et mue par une curiosité morbide emplit les rues de la ville de Mankato. Un régiment de soldats arriva pour maintenir l’ordre. À la dernière minute,
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