Enterre Mon Coeur à Wounded Knee: Une Histoire Américaine, 1860-1890
direction prise par les soldats. Le lendemain, ils découvrirent le campement abandonné avec les cadavres des chevaux jonchant le sol et recouverts d’une couche de pluie gelée. Ils comprirent que les soldats les avaient abattus parce qu’ils ne parvenaient plus à les faire avancer.
Un bon nombre des Tuniques Bleues étant à présent à pied, les Sioux décidèrent de les suivre et de leur faire peur pour que plus jamais ne leur reprenne l’envie de revenir dans les Black Hills. En chemin, les Hunkpapas et les Miniconjous tombèrent sur des petits groupes d’éclaireurs oglalas et cheyennes qui recherchaient encore la colonne de Connor. Ces rencontres mirent les Indiens dans un état de grande excitation. À quelques kilomètres au sud se trouvait un gros village cheyenne, et les chefs de toutes ces bandes, mis en contact par les messagers, décidèrent de préparer une embuscade de grande ampleur.
Cet été-là, Roman Nose avait fait de nombreux jeûnes rituels afin de bénéficier d’une protection spéciale contre ses ennemis. Comme Red Cloud et Sitting Bull, il était décidé à se battre pour sa terre, et à remporter la victoire. White Bull, un vieil homme-médecine cheyenne, lui conseilla de se rendre seul à un lac situé tout près et de vivre un moment avec les esprits de l’eau. Allongé sur un radeau, Roman Nose passa quatre jours sans manger ni boire, exposé à un soleil de plomb le jour et aux éclairs la nuit, à adresser des prières au Grand Homme Médecine et aux esprits de l’eau. Lorsqu’il revint au campement, White Bull lui confectionna une coiffe de guerre constituée de tant de plumes d’aigle qu’elle descendait presque jusqu’à terre.
En septembre, lorsque le village cheyenne apprit la fuite des soldats vers la Powder, Roman Nose demanda qu’on lui accorde le privilège de mener une charge contre les Tuniques Bleues. Un ou deux jours plus tard, les soldats installèrent leur campement dans une boucle de la rivière, entre des falaises d’un côté, et un petit bois dense de l’autre. Jugeant que l’endroit était parfait pour une attaque, les chefs postèrent plusieurs centaines de guerriers autour du camp et voulurent provoquer la bataille en confiant à quelques braves la mission d’attirer les soldats à l’extérieur de leur cercle de chariots. Mais les Tuniques Bleues restèrent terrées.
Alors, Roman Nose s’avança, le visage peint, monté sur son mustang blanc, avec sa coiffe de guerre. Il ordonna aux braves de ne pas se battre individuellement ainsi qu’ils l’avaient fait jusque-là, mais en groupe, comme les soldats. Il leur demanda de former une ligne sur l’espace dégagé séparant la rivière des falaises. Les guerriers se placèrent face aux soldats, eux-mêmes debout devant leurs chariots. Puis Roman Nose alla d’un bout à l’autre de la ligne indienne en faisant virevolter son mustang. Il voulait que ses troupes restent immobiles tant que les soldats n’auraient pas tiré leurs dernières balles sur lui. Enfin, d’une grande claque sur la croupe, il mit sa monture au galop et fila telle une flèche jusqu’à l’une des extrémités de la ligne ennemie. Quand il se retrouva suffisamment près pour voir les visages des Tuniques Bleues, il tourna et, sous le feu des soldats, galopa jusqu’à l’extrémité opposée. Puis il fit de nouveau virer son mustang et repartit dans l’autre direction.
« Il a ainsi galopé d’un bout à l’autre de leur ligne trois ou quatre fois, raconte George Bent. Alors son mustang, touché, s’est effondré. Les guerriers ont immédiatement poussé un cri et chargé. Ils ont assailli les soldats sur toute la longueur de leur front, mais sans parvenir à l’enfoncer. »
Roman Nose avait certes perdu son mustang, mais sa médecine protectrice lui avait sauvé la vie. Ajoutons à cela que cette bataille lui apprit un certain nombre de choses sur la façon de combattre les Tuniques Bleues – à lui, mais également à Red Cloud, Sitting Bull, Dull Knife et aux autres chefs. La bravoure, le nombre, les charges, aussi violentes soient-elles – tout cela ne servait à rien tant que les guerriers n’avaient pour tout armement que des arcs, des lances, des casse-tête et de vieilles pétoires datant de l’époque des trappeurs. (« Nous avons été attaqués de tous les côtés, devant, derrière et sur nos flancs. Mais, s’étonna le colonel Walker dans son rapport, les Indiens semblaient n’avoir
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