Enterre Mon Coeur à Wounded Knee: Une Histoire Américaine, 1860-1890
lui, faisait mine d’ajuster sa bride ou d’examiner les sabots de son mustang. Finalement, les soldats montèrent sur l’arête afin de rabattre vers Peno Creek les appâts – les seuls Indiens en vue – qu’ils tentèrent d’attraper en les chargeant.
Crazy Horse et ses camarades traversèrent alors le cours d’eau, attirant les quatre-vingt-un cavaliers et fantassins dans le piège. Puis ils se divisèrent en deux groupes et leurs pistes se coupèrent. L’attaque pouvait commencer.
C’est à Little Horse, le Cheyenne qui un an auparavant avait averti les Arapahos de l’arrivée du général Connor et de ses troupes, que revint l’honneur de donner le signal aux siens, dissimulé dans les ravines côté ouest. Il leva sa lance, et tous les Cheyennes et les Arapahos partirent à la charge dans un tonnerre de sabots.
Les Sioux arrivèrent de l’autre côté, et pendant quelques minutes, Indiens et soldats se retrouvèrent dans une mêlée au corps à corps. Les fantassins furent rapidement tous tués, mais les cavaliers battirent en retraite vers une éminence rocheuse près de la fin de l’arête. Là, ils libérèrent leurs chevaux et tentèrent de se mettre à l’abri parmi les rochers couverts de glace.
Little Horse se fit remarquer ce jour-là en sautant par-dessus les rochers et en émergeant des ravines jusqu’à se trouver à quinze mètres des cavaliers assiégés. White Bull, un Miniconjou, se distingua également au cours de la bataille acharnée livrée sur le flanc de la colline. Armé simplement d’un arc et d’une lance, il chargea un soldat qui lui tirait dessus avec sa carabine. Dans un pictogramme qu’il réalisa plus tard, il se représente vêtu d’une cape de guerre rouge, en train de tirer une flèche dans le cœur du soldat et de le frapper sur la tête avec sa lance pour compter son premier coup (19) .
Vers la fin des combats, les Cheyennes, les Arapahos et les Sioux se retrouvèrent si près les uns des autres qu’ils en vinrent à se toucher avec leurs flèches. Enfin, tout fut fini. Il ne restait plus un soldat vivant. Un chien apparut parmi les corps, qu’un Sioux voulut attraper pour le ramener chez lui, mais Big Rascal, un Cheyenne, déclara : « Ne laisse pas partir le chien », alors quelqu’un tua la bête d’une flèche. Cette bataille, les Blancs lui donneraient le nom de « massacre Fetterman » ; pour les Indiens, elle devint la « Bataille des Cent Morts. »
Ils avaient en effet subi de lourdes pertes, presque deux cents morts et blessés. À cause du froid extrême, ils décidèrent de ramener les blessés au campement temporaire, où ils pourraient être protégés du gel. Le jour suivant, une violente tempête de neige condamna les guerriers à se terrer dans des abris de fortune en attendant de pouvoir regagner leurs villages de la vallée de la Tongue.
La Lune-du-grand-froid avait commencé, signifiant l’interruption des combats pendant quelque temps. Les soldats rentrés au fort allaient avoir un goût amer de défaite dans la bouche. S’ils n’avaient pas compris la leçon et étaient encore là au moment où l’herbe reverdissait, au printemps, alors la guerre continuerait.
Le massacre Fetterman marqua profondément le colonel Carrington. Les mutilations – éviscérations, membres tranchés, « parties génitales coupées et disposées de manière indécente sur le corps » – l’horrifièrent. Obsédé par les raisons qui auraient pu expliquer une telle sauvagerie, il finit par écrire un essai sur le sujet, dans lequel il émit l’hypothèse que les Indiens étaient poussés par quelque croyance païenne à commettre les actes terribles qui hanteraient à jamais son esprit. Mais s’il s’était rendu sur les lieux du massacre de Sand Creek, qui précédait de deux ans seulement celui de Fetterman, il aurait vu les mêmes mutilations – infligées aux Indiens par les soldats du colonel Chivington. Les guerriers qui avaient organisé l’embuscade fatale n’avaient fait qu’imiter leurs ennemis, pratique qui, à la guerre comme dans la vie civile, serait dit-on la plus sincère des flatteries.
Le massacre Fetterman impressionna également beaucoup le gouvernement des États-Unis. Il s’agissait de la pire défaite subie par l’armée au cours des guerres indiennes, et la seconde de toute l’histoire du pays où il n’y avait eu aucun survivant. Carrington fut démis de son poste de commandant, des renforts
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