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Essais sceptiques

Essais sceptiques

Titel: Essais sceptiques Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bertrand Russell
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est difficile de voir comment, dans un tel monde, il peut se trouver un champion des droits de paresseux, c’est-à-dire de ceux qui ne veulent pas gêner les autres. Il semble que les gens tranquilles devront apprendre à être énergiques et sans peur dans leur jeunesse s’ils veulent avoir une possibilité de vivre dans un monde où pour être puissant il faut se pousser. Il se peut que la démocratie ne soit qu’une phase passagère ; dans ce cas, la psychologie servira à river les chaînes aux esclaves. Cela fait qu’il est important de consolider la démocratie avant que la technique de l’oppression ne soit perfectionnée.
    En nous rappelant les trois sortes d’effets de la science, dont j’ai parlé au début, il est évident que nous ne pouvons pas prévoir de quelle manière les tenants du pouvoir se serviront de la psychologie avant de savoir quelle sorte de gouvernement nous allons avoir. La psychologie, comme toute autre science, donnera de nouvelles armes aux autorités, notamment les armes de l’éducation et de la propagande ; toutes les deux peuvent, grâce à une technique psychologique plus développée, être perfectionnées à un point tel qu’elles seront irrésistibles. Si les tenants du pouvoir désirent la paix, ils seront en mesure de créer une population pacifique, et une population belliqueuse s’ils désirent la guerre. S’ils veulent créer l’intelligence, ils l’auront ; s’ils préfèrent la stupidité, ils auront la stupidité. Sur ce chapitre, il est donc tout à fait impossible de prophétiser.
    Quant à l’effet de la psychologie sur l’imagination, il sera probablement de deux sortes opposées. D’une part, on acceptera le déterminisme d’une manière plus générale. La plupart des gens ne se sentent pas tout à fait à l’aise, à cause de la météorologie, quand on prie pour la pluie ; mais ils ne se sentent pas tellement mal à l’aise quand ils prient pour avoir un bon cœur. Si on connaissait aussi bien les causes d’un bon cœur que celles de la pluie, il n’y aurait plus cette différence. Un homme qui prierait pour avoir un bon cœur au lieu d’aller chez le médecin pour que celui-ci le débarrasse de mauvais désirs serait flétri comme hypocrite, si pour quelques guinées payées à un spécialiste de Harley Street chacun pouvait devenir un saint. L’augmentation du déterminisme irait probablement de pair avec la diminution de l’effort et une augmentation générale de la paresse morale, quoique ces effets n’en résultent pas logiquement. Je ne peux pas dire si cela constituerait un progrès ou une régression, comme je ne sais pas si l’effort moral joint à une psychologie erronée est une cause de bien ou de mal. D’autre part, on s’émanciperait du matérialisme métaphysique et éthique ; on considérerait les états d’âme comme plus importants s’ils formaient la matière d’une science généralement reconnue et efficace pratiquement. Cet effet, je crois, serait entièrement bon, car il supprimerait les notions erronées actuellement dominantes sur l’essence du bonheur.
    Quant aux effets possibles de la psychologie sur notre manière de vivre qu’elle pourrait modifier par ses inventions et découvertes, je n’ose pas risquer des prédictions, puisque je ne vois aucune raison d’espérer un effet plutôt qu’un autre. Par exemple : son effet le plus important sera peut-être d’apprendre aux nègres à combattre aussi bien que les blancs, sans acquérir pour cela d’autres mérites. Or, inversement, il se peut qu’on se serve de la psychologie pour induire les nègres à pratiquer le contrôle des naissances. Ces deux possibilités produiraient des mondes très différents, et il n’y a pas moyen de deviner si l’une ou l’autre ou aucune des deux seront réalisées.
    Enfin : la psychologie pourra avoir une grande importance pratique en donnant aux hommes et aux femmes ordinaires une conception plus juste de l’essence du bonheur humain. Si les hommes étaient réellement heureux, ils ne seraient pas remplis d’envie, de rage et d’esprit destructeur. Si l’on ne compte pas les nécessités fondamentales de la vie, la chose dont on a le plus besoin, c’est la liberté sexuelle et la liberté de procréer : or, elle manque au moins autant à la classe moyenne qu’aux salariés. Il serait facile, avec nos connaissances actuelles, de rendre le bonheur instinctif presque universel, si nous

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