Essais sceptiques
économique ou politique, ni quant aux conceptions philosophiques. Le communisme devient de plus en plus une religion qui s’intéresse à un royaume céleste futur, et de moins en moins une manière de vivre sur terre. Une génération nouvelle est en train de grandir qui considère cette foi comme une chose qui va de soi, puisque jamais elle ne l’a entendu discuter effectivement pendant les années de sa formation. Si le contrôle actuel de la littérature, de la presse et de l’éducation dure encore vingt ans – et il n’y a aucune raison de supposer qu’il n’en soit pas ainsi – la philosophie communiste sera acceptée par l’immense majorité des hommes vigoureux. Elle sera combattue, d’une part, par un reliquat toujours plus petit de vieillards mécontents, sans aucun contact avec les affaires et avec le courant principal de la vie nationale ; d’autre part, par quelques libres penseurs dont l’influence restera probablement négligeable pour un temps très long.
Il y eut toujours des libres penseurs – l’aristocratie italienne au XIII e siècle fut très épicurienne – mais ils ne jouèrent un rôle important que lorsque, grâce à des circonstances accidentelles, leurs opinions devenaient utiles à des groupes importants et pour des raisons économiques et politiques, comme actuellement au Mexique. Un peu de bon sens de la part de l’Église établie peut toujours éviter cela, et on peut prévoir que l’Église établie en Russie fera preuve de ce minimum de bon sens. Le développement de l’éducation fait que les jeunes paysans sont amenés au bercail, et ont facilité leur conversion à la théorie par des concessions de plus en plus grandes à l’individualisme de la pratique paysanne. Moins il y a de communisme dans le régime économique actuel, plus il y en aura dans la foi acceptée par tout le monde.
Ce processus n’a pas lieu seulement en Russie ou sur le territoire de l’U.R.S.S. Il commence aussi en Chine et il n’est pas improbable qu’il ne devienne très intense. Tout ce qui a quelque vigueur en Chine – en particulier, le gouvernement nationaliste – est dû à l’influence russe. Les succès militaires des sudistes sont dus largement à la propagande organisée sous la direction russe. Les Chinois qui s’accrochent encore aux religions anciennes – le bouddhisme et le taoïsme – sont politiquement réactionnaires ; les chrétiens tendent à montrer plus d’amitié aux étrangers qu’il ne plaît aux nationalistes. En gros, les nationalistes sont opposés à toutes les vieilles religions, qu’elles soient indigènes ou étrangères. La nouvelle religion russe attire l’intelligence patriotique parce qu’elle est la chose la plus moderne, le dernier mot du « progrès » et aussi parce qu’elle est associée avec une Puissance politiquement amie, en fait, la seule Puissance amie. C’est pourquoi, bien qu’il soit impossible d’imaginer la Chine adoptant le communisme en
pratique
, il est tout à fait probable qu’elle adopte la
philosophie
des Bolchéviks.
Une des grandes erreurs des Anglais dans leurs relations avec les nations « arriérées » a été leur confiance dans le pouvoir de la tradition. Vous trouverez en Chine beaucoup d’Anglais qui ont une connaissance considérable des classiques chinois, qui comprennent les superstitions populaires et qui ont des amis parmi les lettrés conservateurs. Vous en trouverez à peine qui comprennent la Jeune Chine ou qui aient pour elle autre chose qu’un mépris ignorant. En face de la transformation du Japon, ils continuent à juger l’avenir de la Chine par son passé et à penser qu’aucun grand changement rapide n’est possible. Je suis convaincu qu’ils se trompent. En Chine comme au Japon, la force militaire et économique de l’Occident a acquis du prestige et provoqué en même temps la haine. Mais la haine contre la Russie peut rester sans force ; telle qu’elle est, la Russie offre un modèle d’émancipation de l’Occident et elle peut aider les Chinois à prendre des chemins plus ou moins analogues. Dans ces circonstances, un changement rapide est très possible. Il est toujours beaucoup plus facile de l’effectuer dans une population jusqu’ici inéduquée, car l’éducation appuyée par le prestige du gouvernement peut facilement pousser les jeunes à mépriser leurs aînés illettrés.
Il n’est donc nullement improbable que, dans une vingtaine d’années,
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