Essais sceptiques
la naissance sont inutiles après, pour la plus grande part. Mais je pense qu’il n’y a pas de doute sur l’influence énorme des premières années de vie sur la formation du caractère. Il existe une certaine opposition, à mon avis tout à fait illégitime, entre ceux qui croient qu’il faut agir sur l’esprit par l’intermédiaire du corps et ceux qui croient qu’il faut y agir directement. Le médecin à l’ancienne mode, bien qu’il soit chrétien sincère, tend à être matérialiste ; il pense que des états d’âme ont des causes physiques et qu’on devrait les guérir en enlevant ces causes. Au contraire, le psychanalyste cherche toujours des causes psychologiques et essaie d’agir sur elles. Tout cela est un effet du dualisme de l’esprit et de la matière, que je considère comme une doctrine fausse. Parfois, il est plus facile de découvrir l’antécédent que nous appelons physique ; parfois, il est plus facile de découvrir celui que nous appelons psychologique. Mais je suppose que les deux existent toujours, et qu’il est rationnel d’agir sur celui qu’on peut découvrir le plus facilement dans un cas donné. On n’est pas inconséquent, lorsqu’on traite un cas par l’administration de doses d’iode, et un autre cas, par l’analyse d’une phobie.
Quand nous essayons de nous faire une idée psychologique de la politique, il est naturel de chercher tout d’abord à établir les impulsions fondamentales des êtres humains ordinaires et les moyens de les développer par le milieu. Les économistes orthodoxes d’il y a cent ans pensaient que l’instinct d’acquisition était le seul motif dont le politicien devait tenir compte ; cette opinion fut adoptée par Marx et elle forma la base de son interprétation économique de l’histoire. Elle a son origine naturelle dans la physique et l’industrialisme : elle est le produit de la domination de la physique sur l’imagination moderne. Actuellement, elle est professée par les capitalistes et les communistes et par toutes les personnes respectables, telles que
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et les magistrats, qui tous les deux expriment la plus grande stupéfaction lorsqu’ils voient de jeunes femmes sacrifier leur gagne-pain pour se marier avec un chômeur vivant de l’allocation. L’opinion courante est que le bonheur est proportionnel au revenu et qu’une vieille fille riche doit être plus heureuse qu’une femme mariée pauvre. Pour rendre cette proposition vraie, nous tous, nous faisons tout notre possible pour infliger la misère à cette dernière.
S’élevant contre l’orthodoxie et le marxisme, les psychanalystes maintiennent que l’impulsion humaine fondamentale est la sexualité. L’instinct d’acquisition, disent-ils, est un développement morbide d’une certaine perversion sexuelle. Il est évident que des gens qui croient à cela agiront différemment de ceux qui professent des idées économiques. Tout le monde, sauf cas pathologique, souhaite d’être heureux, mais la plupart des gens acceptent quelque théorie courante sur l’essence du bonheur. Des gens, pour qui l’argent est le bonheur n’agiront pas de la même manière que des gens pour qui c’est la satisfaction sexuelle. Je ne crois aucune de ces opinions entièrement vraie, mais je suis certain que la seconde est moins nuisible. Ce qui reste acquis, c’est l’importance d’une théorie juste de l’essence du bonheur. Dans des actes aussi importants que le choix d’une carrière, la théorie joue un rôle important. Si une théorie fausse domine, les hommes qui auront réussi seront malheureux, mais ne sauront pas pourquoi. Cela les remplit de rage et les conduit à vouloir le massacre de jeunes gens qu’ils envient inconsciemment. La plus grande partie de la politique moderne, tout en étant nominalement fondée sur l’économique, s’explique en réalité par la rage causée par un manque de satisfaction instinctive ; et ce manque, à son tour, est dû largement à une fausse psychologie populaire.
Je ne crois pas que tout s’explique par la sexualité. En politique surtout, la sexualité n’est importante que si elle est contrecarrée. Dans une guerre, des vieilles filles âgées montrent une férocité qui en partie s’explique par leur indignation contre les jeunes gens qui les ont négligées. Encore maintenant, elles sont anormalement belliqueuses. Un jour, peu après l’armistice, j’ai traversé dans le train Saltash Bridge
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