Essais sceptiques
conclure inévitablement que la causalité et l’induction s’appliquent à la volonté humaine aussi bien qu’à n’importe quelle autre chose. Tout cela arriva durant le XX e siècle en physique, en physiologie, et la psychologie va encore affermir cette conclusion. Ce qui résulte de ces considérations c’est que, malgré l’insuffisance théorique de la justification rationnelle de la science, il n’y a pas moyen de sauvegarder le côté agréable de la science sans en accepter le côté désagréable. Nous pouvons y arriver, naturellement, en refusant d’affronter la logique des faits ; mais en procédant ainsi, nous rendrons impuissante à sa source même, l’impulsion pour la découverte scientifique, qui est justement le désir de comprendre l’univers. Il faut espérer que l’avenir nous fera trouver une solution plus satisfaisante de ce problème complexe.
IV
L’HOMME PEUT-IL ÊTRE RAISONNABLE ?
J’AI l’habitude de me considérer moi-même comme un rationaliste ; et je suppose qu’un rationaliste doit être quelqu’un qui désire que les hommes soient raisonnables. Mais de nos jours, la raison a reçu un grand nombre de coups très durs. Si bien qu’il est difficile de savoir ce qu’on entend par « raison ». ou, lorsqu’on le saura, si elle est quelque chose que les êtres humains pourront atteindre. Le problème consistant à définir l’attitude rationnelle a deux aspects, l’un théorique et l’autre pratique : qu’est-ce qu’une opinion raisonnable ? et qu’est-ce qu’une conduite raisonnable ? Le pragmatisme accentue le caractère irrationnel de l’opinion, et la psychanalyse, celui de la conduite. Les deux amenèrent beaucoup de gens à penser qu’il n’existe pas d’idéal de la raison auquel l’opinion et la conduite pourraient se conformer avantageusement. Il semblerait qu’il faut en déduire que si vous et moi, nous avons des opinions différentes, il ne servira de rien de faire appel à une argumentation ou de demander l’arbitrage d’un homme impartial ; la seule chose qui nous resterait à faire serait de l’imposer par la force, soit par des méthodes rhétoriques, par la réclame ou la guerre, selon le degré de notre puissance financière et militaire. Je pense qu’une telle attitude est très dangereuse, et, à la longue, fatale pour notre civilisation. C’est pourquoi, j’essaierai de montrer que l’idéal de la raison demeure intact en face des idées qu’on lui a crues fatales, et qu’il garde toute l’importance qu’on lui avait autrefois attribuée en tant que guide de notre pensée et de notre vie.
Commençons par la raison dans l’opinion : je la définirai simplement comme l’habitude de tenir compte de tous les faits dignes de foi pour arriver à une croyance. Là où la certitude n’est pas possible, un homme raisonnable donnerait le plus de poids à l’opinion la plus probable, tout en retenant dans son esprit les autres, dont la probabilité n’est pas négligeable en tant qu’hypothèses que des faits ultérieurs peuvent rendre préférables. Cela admet, bien entendu, qu’il est possible dans beaucoup de cas d’établir des faits et des probabilités par une méthode objective, c’est-à-dire une méthode qui conduira deux hommes attentifs au même résultat. C’est ce qu’on met souvent en doute. Plusieurs affirment que la seule fonction de l’intelligence est de faciliter la satisfaction des désirs et des besoins individuels. Le Plebs Text-Books Committee, dans son
Manuel de Psychologie
dit : «
L’intelligence est avant tout un instrument de partialité.
Sa fonction consiste à garantir l’exécution des actions avantageuses pour l’individu ou l’espèce, et à empêcher celles qui sont moins avantageuses » (en italique dans le texte).
Mais les mêmes auteurs, dans le même livre écrivent, encore en italique :
« La foi du marxiste diffère profondément de la foi religieuse ; celle-ci n’est fondée que sur le désir et la tradition ; celle-là est basée sur l’analyse scientifique de la réalité objective. »
Cette phrase ne semble pas s’accorder avec ce que disent ces auteurs sur l’intelligence, à moins qu’ils ne veuillent insinuer que ce n’est pas l’intelligence qui les a conduits à se convertir au marxisme. En tout cas, du moment qu’ils reconnaissent la possibilité d’une « analyse scientifique de la réalité objective », ils doivent reconnaître qu’il
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