Et Dieu donnera la victoire
s’écria :
– Rends cette place, Suffolk, au nom du ciel, sinon il t’en cuira. C’est la Pucelle qui te le dit : en nom Dieu, fous le camp, ou alors gare !
En trois coups bien ajustés, la grosse tour s’effondra dans un tumulte de cris et de lamentations. Quelques heures plus tard, les Français, éberlués, virent arriver sur leurs arrières, tambours et fifres en tête, la horde joyeuse des milices orléanaises. Ces bourgeois avaient des comptes à régler avec ceux de Jargeau qui ne les avaient pas aidés durant le siège. Leur chef dit à d’Alençon :
– Laissez faire nos hommes. Ils ont envie de se battre et ont apporté des échelles. Donnez-nous une heure et nous vous livrons cette ville comme sur un plateau.
Le premier assaut, sous l’oeil narquois des Français et des Anglais, se solda par une magistrale déconfiture. D’Alençon montra à ces militaires d’occasion la direction de leurs boutiques en les priant de laisser la guerre aux guerriers.
Surprise, le lendemain matin : après un nouveau bombardement qui écrêta quelques créneaux, la porte donnant sur les faubourgs s’ouvrit, livrant passage à une escorte désarmée conduite par Suffolk. Le chef anglais s’inclina devant le duc d’Alençon et eut un hoquet de surprise en voyant Jeanne équipée en guerre. Il venait proposer une reddition honorable et demandait que l’on interrompît ces assauts qui coûtaient beaucoup d’hommes pour peu de résultats. Il ajouta :
– Si dans une dizaine, cette place n’a pas été secourue, elle sera vôtre. C’est une coutume communément pratiquée...
– Ce que vous me proposez, protesta d’Alençon, est une duperie. Ne comptez pas sur nous pour tomber dans le panneau. Nous n’ignorons pas que vous attendez du secours dans les jours qui viennent. Jeanne, qu’en penses-tu ?
– Je vous réponds par Dieu, Suffolk, que le mieux est que vous partiez dans vos petites cottes si vous voulez avoir la vie sauve, sinon nous prendrons cette ville d’assaut et je ne pourrai répondre de rien !
Suffolk ravala sa déception et s’inclina sèchement avant de repartir, tête basse.
– Ces gens, dit Jeanne, ont une peur bleue. C’est le moment d’attaquer.
Lorsqu’elle apprit, le lendemain au réveil, par Louis de Coutes que d’Alençon avait entrepris au cours de la nuit des pourparlers avec Suffolk, elle sentit la moutarde lui monter au nez. Le pleutre ! Elle partit à sa recherche et le trouva sur le bord d’un fossé, face à la porte principale. Elle s’apprêtait à lui chanter sa chanson quand elle aperçut, pointant entre deux merlons, la gueule d’un veuglaire qu’un artillier dirigeait vers eux. Elle prit d’Alençon par le bras et l’écarta vivement au moment où la petite bombarde crachait son boulet. Jean de Lude, qui se trouvait près d’eux, bascula sans un cri, la poitrine enfoncée.
– Tu m’as sauvé la vie, dit le duc en essuyant son visage baigné de sueur. Comment ne pas croire en tes dons ?
– Je n’ai fait que tenir parole. Souviens-toi : j’ai promis à ton épouse de veiller sur toi.
Elle lui demanda compte avec vivacité de la négociation qu’on avait entamée dans son dos. Il rougit, nia d’abord que cette démarche ait eu lieu puis finit par en convenir, ajoutant qu’elle n’avait pas abouti. Il fallait donc reprendre les opérations de siège.
Une fois de plus Jeanne, volontairement, paya de sa personne. Quelles que fussent les circonstances, elle se tenait toujours au premier rang, brandissant sa bannière et son épée, poussant ses cris de guerre qui enflammaient les assaillants. Le combat durait depuis deux heures quand elle décida de mener la danse à sa manière. Elle sauta dans le fossé en partie comblé de fascines durant la nuit et, sa bannière au poing, suivie de la vague d’assaut qui écumait sur ses talons, parvint à poser une échelle et à commencer l’escalade. Soudain, frappée au casque par une pierre, elle poussa un cri, lâcha sa bannière et son épée et se retrouva dans le fossé. On se pressa autour d’elle en la protégeant avec des écus. Surprenant son monde, elle se dressa, criant à ceux qui se massaient au bord du fossé :
– Qu’attendez-vous ? Les Anglais sont foutus ! Allez-y de bon coeur. Ahay !
Indifférente aux traits qui pleuvaient autour d’elle et ricochaient sur son casque et sa cuirasse, elle parvint à se hisser de nouveau au pied des remparts. Lorsqu’elle vit les pourpoints aux
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